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Après la contestation, les méga-bassines confrontées à des agriculteurs mauvais payeurs


La méga-bassine de Mauzé-sur-le-Mignon (Deux-Sèvres). Près d’une quinzaine d’exploitations agricoles auraient écopé de « pénalités pour impayés à la Coop de l’eau 79

| Le Parisien | Bassines

Dans les Deux-Sèvres, la structure chargée de bâtir les réserves tant contestées fait face à des impayés significatifs de plusieurs dizaines d’agriculteurs. Certains avancent un souci de trésorerie, d’autres s’assoient sur les règles, tous dénoncent un prix exorbitant.

Ils sont éleveurs, céréaliers et maraîchers. Ces irrigants témoignent pour la plupart de façon anonyme car ils redoutent « les pressions », « les intimidations » du monde agricole. Tous sont des « mauvais payeurs » et accumulent volontairement ou non les factures adressées par la Coop de l’eau 79, la structure collective chargée de bâtir 16 réserves de substitution dans les Deux-Sèvres, la Vienne et la Charente-Maritime à l’image des ouvrages de Mauzé-sur-le-Mignon et Sainte-Soline.

Ces « méga-bassines » dénoncées par les écologistes sont financées par des fonds publics et grâce à l’écot de tous les irrigants installés dans le secteur, qu’ils soient raccordés ou non aux réserves de la Coop de l’eau 79. C’est le principe de la substitution et de la gestion collective : ces ouvrages « sécurisent » ceux qui en bénéficient directement et libèrent des volumes d’eau pour les autres. Chaque exploitation doit ainsi verser son obole selon des règles édictées par l’Établissement public du Marais poitevin (EPMP), l’organisme chargé par l’État d’attribuer les quotas d’eau aux irrigants.

Pénalités pour impayés

Le Parisien a pu consulter deux « notices », provisoire et définitive, rédigées par l’EPMP et consacrées à la campagne d’irrigation actuelle, courant du 1er avril 2024 au 31 mars 2025. Près d’une quinzaine d’exploitations agricoles auraient ainsi écopé de « pénalités pour impayés à la Coop de l’eau 79 ». Une trentaine était mentionnée à l’origine, mais certaines ont depuis régularisé leur situation et payé leur dû.

C’est notamment le cas du président de la FNSEA dans la Région. « Je suis dans les clous, j’ai payé en temps voulu et je respecte les règles », nous certifie Denis Mousseau, à l’instar de la Coop de l’eau 79 tout en défendant les réserves de substitution, « outils de production nécessaires à une agriculture sûre et souveraine ». Les irrigants les plus récalcitrants ont, eux, vu leurs quotas amputés de… 30 à 90 % par l’EPMP. Les sanctions, confirme cet organisme, ne sont pas financières. Elles consistent « après relance » à diminuer de « manière graduelle » les volumes d’eau accordés la saison suivante aux irrigants.

« On paie pour le gardiennage des bassines, les barbelés et les caméras »

Les agriculteurs concernés reconnaissent sans détour l’existence de ces impayés. Certains refusent de passer à la caisse tant qu’ils ne sauront pas précisément pour quoi : « On reçoit des factures mais la coopérative est incapable de nous expliquer où va l’argent », assure un « petit irrigant » frondeur depuis plus de 3 ans.

D’autres n’ont tout simplement pas les moyens de payer. « J’ai beaucoup de factures en retard, concède un éleveur. En ce moment, je ne me verse pas de salaire et privilégie mes deux salariés… ». Sa dette auprès de la Coop de l’eau 79 ? Près de 20 000 euros, calcule-t-il. Les réserves ? « Je trouvais ça bien au début. Mais la contestation m’a fait douter, je préférerais que ça s’arrête. Et puis maintenant, on paie pour le gardiennage des bassines, les barbelés et les caméras. »

Le coût de construction et de gestion des ouvrages a effectivement explosé ces dernières années. La faute — entre autres — au prix de l’électricité, aux taux d’emprunt mais aussi aux mesures de sécurité drastiques prises pour éviter les sabotages et dégradations. Certains agriculteurs ne digèrent pas la pilule. « Avant, le m3 d’eau ne coûtait pas cher. Depuis qu’on a signé avec la Coop de l’eau, le prix a été multiplié par deux, et même par quatre pour ceux qui sont directement raccordés aux réserves », assure un agriculteur.

Lui « traîne des pieds » pour payer : « C’est intentionnel. Je n’étais pas pour le projet, mais je n’ai pas le choix. Et j’ai une entreprise de travaux agricoles, si j’ouvre ma gueule, je perds la moitié de ma clientèle ». Un maraîcher en délicatesse verse, lui, quelques euros « chaque mois » pour ménager la chèvre et le chou. Il dénonce aussi l’envolée des prix de l’eau facturés aux adhérents : « Quelles productions devrons-nous choisir pour valoriser de tels montants ? »

« Ça revient plus cher qu’une assurance « récolte », mais au moins, on est sûr de récolter quelque chose. »

Jean-Luc Moreau, éleveur

Favorable au projet de la Coop de l’eau 79 « parce que j’en ai besoin », Jean-Luc Moreau est l’un des rares à s’exprimer publiquement sur ses impayés liés en partie à des problèmes de trésorerie. Cet éleveur assure avoir payé sa dette et s’interroge sur les coûts : « Je ne sais pas si je vais m’y retrouver. Les sommes demandées, ça peut manquer… Mais je ne peux pas attendre la pluie. Ça revient plus cher qu’une assurance « récolte » mais au moins, on est sûr de récolter quelque chose ».

Contactée par Le Parisien, la Coop de l’eau 79 confirme l’existence de ces impayés et du recours ponctuel à des huissiers. Elle distingue les irrigants rencontrant « des difficultés conjoncturelles » de ceux « s’asseyant sur les règles ». Selon Thierry Boudaud, son président : « Neuf irrigants sur dix jouent le jeu. Certains pensent qu’ils n’ont pas de comptes à rendre mais il n’y a pas de gestion sans collectif. Et dans ce cadre, il faut de l’équité ».

Ces impayés et plus globalement l’augmentation des coûts facturés aux irrigants peuvent-ils remettre en question le projet de la Coop de l’eau 79 ? « Ça dépend des proportions et du nombre de personnes qui respectent les règles. Les coûts peuvent faire réfléchir, reconnaît Thierry Boudaud. S’ils ne sont pas maîtrisés, ça peut être dangereux. »