On a testé l’eau du robinet à Rennes, voici ce qu’on y a trouvé
Le Mensuel de Rennes a fait analyser l’eau de son robinet pour y détecter, ou pas, la présence de PFAS, ces « polluants éternels » devenus un problème majeur de santé publique.Le Mensuel de Rennes a fait analyser l’eau de son robinet pour y détecter, ou pas, la présence de PFAS, ces « polluants éternels » devenus un problème majeur de santé publique.
Inconnu du grand public il y a encore quelques mois, l’acronyme s’est imposé en haut des préoccupations : PFAS*. Des substances chimiques présentes dans de nombreux objets de notre vie quotidienne. Poêles antiadhésives, textiles, emballages alimentaires… Très résistantes, elles mettent des siècles à être éliminées dans l’environnement. D’où leur surnom de « polluants éternels ».
Après des décennies d’accumulation dans la nature, ces molécules ont aujourd’hui contaminé tous les milieux, jusqu’à nos aliments et, pour finir, la population. Certains PFAS ont été détectés chez 100 % des personnes testées par des chercheurs français**. L’enjeu de santé publique donne le vertige. Des liens ont été établis entre l’exposition à haute dose et certaines maladies – problèmes cardiaques, cholestérol ou encore infertilité.
Directive européenne
Pendant plusieurs semaines, nous avons patiemment attendu les analyses, réalisées par Labocéa, un établissement breton agréé. Le temps, pour nous, de replonger dans nos cours de chimie. Les PFAS sont une grande famille qui regroupe des milliers de molécules différentes. Parmi elles, 20 ont été retenues dans la future norme, les plus courantes ou les plus nocives. Les producteurs devront les détecter, une par une, et calculer leur taux de concentration. La somme ne devra pas dépasser les 100 nanogrammes par litre. C‘ est précisément la méthode retenue par Labocéa pour nos analyses.
Ce qu’on a trouvé
Verdict : dans nos locaux, les résultats sont « inférieurs au seuil de quantification ». En d’autres termes, une éventuelle contamination ne peut pas être écartée mais elle est trop infime pour être détectée. Pour notre collègue de Noyal-Châtillon, un seul type de PFAS a été décelé à son domicile. Cette substance, au nom imprononçable, a été interdite en 2022 par l’UE. Jusque-là, elle était utilisée dans certaines teintures ou pour imperméabiliser les tapis. Sophie Goulitquer, responsable du service micropolluants organiques chez Labocéa, rassure : « Ce sont des valeurs extrêmement faibles, très en dessous de la future réglementation ».
De quoi pousser un grand ouf ? Pas trop vite, selon Khalil Hanna, professeur à l’École nationale supérieure de chimie de Rennes. Le spécialiste pointe des failles dans la norme retenue. La liste des 20 PFAS exclut, de fait, des milliers d’autres. Certaines risquent donc d’échapper aux mailles du filet. « Ces 20 ne sont que la partie visible de l’iceberg », estime le chercheur. Avant d’esquisser l’ampleur de la question : « Il existe tellement de PFAS différentes qu’il est impossible d’évaluer la toxicité de chacune d’entre elles. »
Alerte en février
Motif de consolation pour Le Mensuel : au moins, l’eau de son robinet est conforme à la norme européenne. Les villes de Chavagne et de Mordelles n’ont pas toujours pu en dire autant. L’alerte a été donnée en février, lors d’une enquête d’Eau du bassin rennais (EBR), qui fournit toute l’agglomération. Ces deux communes sont alimentées par l’usine de potabilisation de Lillion-Bougrières, qui dépassait de 50 % le futur seuil. Depuis combien de temps les habitants recevait ce niveau de pollution dans leurs tuyaux ? Impossible à dire, faute d’analyses antérieures.
« Depuis avril 2024, l’eau distribuée respecte la règle », assure Laurent Géneau, directeur d’EBR. La solution trouvée : renouveler plus souvent les charbons actifs, traditionnellement utilisés lors de la potabilisation. Efficaces contre les pesticides, ils le sont aussi pour réduire le taux de PFAS. Mais ils saturent vite. Il faut donc les renouveler bien plus souvent pour rester dans les clous : tous les deux mois et demi, contre dix à douze auparavant.
Contamination en série
D’où vient cette inquiétante pollution ? Lors de son enquête, lancée début 2024, Eau du bassin rennais a identifié les sources probables. Le site de Lillion-Bougrières pompe le sous-sol à quelques encablures de l’étang d’Apigné. Là où débouche la rivière du Blosne. D’après les prélèvements réalisés, elle charrie un taux important de PFAS, qui s‘infiltrent dans la nappe phréatique. Autre origine vraisemblable : des déchetteries du siècle précédent, recouvertes de terre. Le secteur a notamment accueilli une décharge publique et des rebuts industriels de l’usine Citroën. Lesquels continuent de diffuser leur poison lent dans l’environnement.
Résultat : l’ensemble des plans d’eau de la zone sont contaminés, à des niveaux variables. C’est notamment le cas d’Apigné, le plus connu et le seul lieu où la baignade est autorisée dans la métropole. Alertée, l’ARS rassure : les nageurs ne courraient aucun risque. « Dans l’un de ces étangs, baptisé le Petit Jacques, on a même détecté des taux similaires à ce qu’on trouve dans la vallée de la chimie, dans le Rhône, autour des sites de production de PFAS », relève Ronan Guillossou, chargé de l’étude. « Mais nous ne l‘utilisons pas comme ressource d’eau potable. » Eau du bassin rennais le souligne : l’usine de potabilisation de Lillion-Bougrières serait la seule, sur les douze qui fournissent la métropole, à être confrontée à un problème PFAS. Les autres produisent une eau bien en-deçà du futur seuil. Mais de nouvelles surprises sont possibles. Ces polluants ont l’éternité pour refaire parler d’eux.