Gestion de l'eau : les trois recommandations de la Cour des comptes
La Cour des comptes regrette dans son rapport annuel que la gouvernance de l'eau ne permette pas de répondre aux enjeux de la gestion de l'eau.
« La politique de l'eau est à la fois déconcentrée et décentralisée. Elle offre un exemple de décentralisation inachevée, confiant des responsabilités importantes aux collectivités locales, conjuguées à une intervention permanente de l'État qui manque de cohérence », estime la Cour des comptes dans son rapport annuel pour 2023. Pour l'institution, cette gouvernance ne permet pas de répondre aux enjeux rencontrés, dans le contexte du changement climatique.
Pour preuve notamment, selon la Cour des comptes, l'objectif de bon état écologique de l'ensemble des masses d'eau qui ne pourra pas être atteint en 2027, comme le demandait la directive-cadre sur l'eau. Aujourd'hui, 56 % des masses d'eau de surface et 33 % des masses d'eau souterraines ne sont pas en bon état. En cause pour les eaux de surface : des pollutions diffuses (nitrates, pesticides notamment) pour 43,3 % d'entre elles, des pollutions ponctuelles, à 25,4 %, et des prélèvements d'eau excessifs, à 19,4 %. Pour les masses d'eau souterraines, 10,7 % sont sous tension.
« L'organisation administrative du pays n'est pas seule responsable de cet écart entre les objectifs et les résultats, modère la Cour des comptes. Il s'explique aussi par la lenteur de la prise de conscience de l'importance des problèmes, la difficulté à faire évoluer les comportements, la rémanence de pollutions qui implique de longs délais entre l'action et les résultats, les effets du changement climatique », modère la Cour. Les moyens dont disposent les services de l'État pour les missions de police et de contrôle sont par ailleurs insuffisants. Et les transferts de compétence en cours ajoutent de la complexité à l'ensemble.
Pour la Cour, des améliorations pourraient toutefois être apportées grâce à une structuration et une clarification de l'organisation autour des sous bassins-versants.
Poursuivre l'élaboration des Sage…
La planification de la politique de l'eau dans ces territoires passe par les schémas d'aménagement et de gestion des eaux (Sage). Mais ces derniers sont encore faiblement déployés. En 2022, seulement 54,3 % du territoire étaient couverts par un Sage. « En outre, la carte de France des Sage ne coïncide pas avec celle des sous-bassins confrontés à des problèmes qualitatifs et quantitatifs de ressource en eau, même si elle la recoupe en partie, note la Cour. Les préfets de département ont la possibilité de déterminer des périmètres de Sage lorsque les acteurs locaux ne l'ont pas fait, si la situation locale le justifie. Ils n'ont encore jamais fait usage de cette compétence. »
Et pour la Cour, cette couverture incomplète par les Sage, affaiblit les grandes orientations portées à l'échelle d'un bassin par le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage). La Cour recommande donc de poursuivre leur élaboration et reprend l'idée de la circulaire de mai 2019 que les projets de territoire de la gestion de l'eau (PTGE) soient une première étape dans l'élaboration d'un Sage.
Par ailleurs, un travail est mené par le Gouvernement sur l'évolution des Sage, trente ans après leur création.
… grâce à des CLE renforcés
La conception des Sage est assurée par les commissions locales de l'eau (CLE). « Le temps d'élaboration des Sage par ces commissions est très long, regrette toutefois la Cour des comptes. Il est fréquemment de neuf à dix ans, si bien que leur contenu est parfois en décalage avec la réalité lorsqu'ils sont adoptés, « en raison des évolutions rapides de la situation dans le contexte du changement climatique ».
Pour la Cour, le rôle des CLE devrait être renforcé. Elle estime ainsi que ces commissions devraient être systématiquement associées à la mise en œuvre des Sage ou à la réalisation des contrats territoriaux. Autre souhait : que leur avis soit obligatoirement sollicité et rendu public sur des documents d'aménagement du territoire, quand ils ont des conséquences sur la qualité et la disponibilité de l'eau. « Le législateur a prévu que nombre de ces documents devaient être compatibles avec le plan d'aménagement et de gestion durable du Sage et que le règlement de ce schéma leur était opposable, note la Cour. Pour autant, aucune procédure n'est formalisée pour s'assurer de cette conformité ni de cette compatibilité, qui restent dans les faits très incertaines. »
… Et mieux identifier les acteurs pour les mettre en œuvre
« Dans certains territoires, aucun acteur opérationnel n'est associé aux sous-bassins délimités. Cela ne facilite pas l'élaboration des schémas d'aménagement et de gestion des eaux lorsqu'ils n'existent pas, constate la Cour. Et lorsque des Sage ont été élaborés, leur mise en œuvre est souvent entravée faute de structure capable d'en assurer l'exécution. »
Les études nécessaires pour l'élaboration du document et le suivi de sa mise en œuvre demandent des moyens humains et financiers. « Les syndicats mixtes constitués à l'échelle d'un ou plusieurs sous-bassins versants devraient donc prioritairement prendre la forme, respectivement, d'Epage et d'EPTB [établissements publics territoriaux de bassin] réunissant les collectivités locales intéressées, indique la Cour des comptes. Ces deux catégories d'établissements publics spécialisés dans la gestion de l'eau présentent l'avantage de pouvoir associer d'autres personnes publiques que les établissements publics de coopération intercommunale intéressés à la politique de l'eau, notamment les départements. » Mais sur le terrain, peu de syndicats mixtes existants ont été transformés en Epage ou en EPTB. « Ce retard est dommageable et doit être comblé », estime la Cour des comptes.
Par ailleurs, l'institution recommande que les commissions locales de l'eau soient adossées aux Epage et aux EPTB pour renforcer leur rôle, tout en garantissant leurs moyens d'agir et leur indépendance.
La Cour devrait remettre un autre rapport plus général relatif à la gestion quantitative de l'eau.