France Stratégie explore les futurs possibles de la demande en eau

En 2050, l'agriculture sera le principal préleveur d'eau.
L'étude de France Stratégie
Dans un contexte de réchauffement climatique, France Stratégie s'est penchée sur les futurs possibles de l'évolution de la demande en eau en fonction des choix structurants de société. Une seconde étude sur la ressource disponible est attendue.
Les écarts sont conséquents : une réduction des prélèvements en eau de 47 % ou, à l'inverse, une stagnation de 1 % selon les choix politiques réalisés d'ici à 2050. Tels sont les futurs envisagés dans des conditions climatiques défavorables par une étude (1) prospective de France Stratégie sur l'évolution de la demande en eau.
Ce travail était l'une des mesures prévues par le Plan eau. Une seconde analyse, cette fois sur la disponibilité de la ressource, devrait être publiée à la fin du premier semestre 2025. Un travail de confrontation qui se révèle nécessaire pour essayer d'anticiper les conflits de partage de la ressource. De la même façon que pour cette première étude, le second volet ne prendra toutefois pas en compte la qualité de la ressource. « C'est une des limites des études, note Simon Ferrière, chef de projet au sein du département développement durable et numérique de France Stratégie, lors de la présentation de l'étude, ce lundi 20 janvier. Nous disposerons d'une vision maximaliste, car l'eau pourra être dégradée et donc pas disponible pour tous les usages. »
Trois scénarios contrastés
Pour ce premier volet, France Stratégie a tablé sur trois scénarios : l'un tendanciel, qui poursuit les tendances observées entre 2010 et 2020, un second dit « politiques publiques », pour lequel les annonces et grandes politiques publiques présentées récemment sont mises en œuvre (dont la Stratégie nationale bas carbone), et le dernier « de rupture » s'inspire d'un des scénarios parmi les plus sobres du rapport « Transition(s) 2050 » de l'Ademe.
France Stratégie envisage trois scénarios contrastés pour projeter les conséquences des orientations de la société.
© France Stratégie
« Nous avons poussé les curseurs pour avoir des scénarios contrastés, pour mettre en évidence l'effet des choix de société sur la demande en eau », explique Hélène Arambourou, adjointe au directeur du département développement durable et numérique. À ceci France Stratégie a appliqué des projections climatiques mettant en œuvre des évolutions modérées ou fortes, avec de forts contrastes saisonniers (RCP 8.5 d'Explore 2) aux horizons 2030 ou 2050, ainsi qu'une météo sèche ou pluvieuse durant le printemps et l'été. Elle a ensuite estimé les trajectoires pour sept secteurs (énergie, résidentiel, canaux, élevage, irrigation, industrie et territoire), selon le territoire métropolitain visé et la saison. L'année de référence choisie est 2020.
Des points communs aux trois scénarios
Si les scénarios sont contrastés, des tendances communes émergent : ainsi, alors que jusqu'à présent le secteur de l'énergie représentait le principal préleveur, à l'horizon 2050, ce sera l'agriculture qui prendra cette place. En cause notamment : l'arrêt de quatre réacteurs nucléaires (deux au Bugey et deux à Tricastin) équipés de circuit de refroidissement ouvert qui prélève vingt fois plus d'eau qu'un circuit fermé (en revanche leur consommation est moins importante que celle en circuit fermé pour lequel un volume d'eau plus important est évaporé).
Si les huit réacteurs aujourd'hui en circuit ouvert étaient arrêtés (sur les 38 présents en eau douce), les prélèvements d'eau nationaux tous usages confondus seront réduit d'un sixième. « Le plan de relance ne dit pas de façon objective que les réacteurs seront tous en circuit fermé, constate Simon Ferrière. Mais vu les réductions que le débit du Rhône va subir… la question se pose. » Avec en débat les effets de la réduction des prélèvements versus une augmentation de la consommation d'eau. Autre constat partagé : une forte augmentation des prélèvements durant les mois les plus chauds.
Et les solutions aujourd'hui envisagées, comme les retenues de substitution, ne pourront pas répondre seules à cette tendance. Par exemple, pour le bassin versant de la Charente, avec ses 10 millions de mètres cubes stockés dans une trentaine de retenues, l'étude de France Stratégie estime que la réduction des prélèvements par rapport à un scénario sans retenues en période printanière et estivale ne serait que de 6 % du fait d'une contribution faible en cas d'hivers secs. « Même en construisant beaucoup de retenues, l'effet sera limité, souligne Hélène Arambourou. Elles peuvent être efficaces localement, permettre la relocalisation de certaines activités. Ce que nous disons, c'est que ce ne pourra pas être LA réponse. Il faudra mettre en place un bouquet de solutions. »
En revanche, une augmentation des prélèvements pour l'irrigation semble inévitable pour l'ensemble des scénarios d'ici à 2050 dans des conditions climatiques défavorables. En fonction des arbitrages, seule son amplitude serait amenée à varier (de 102 % pour le « tendanciel » à 72 % pour le « politiques publiques » ou à 10 % pour le « rupture »).
De la même manière, durant les périodes plus sensibles du printemps et de l'été, France Stratégie prévoit un doublement de la consommation d'eau entre 2020 et 2050 dans plus de la moitié des bassins versants dans le scénario tendanciel et dans près d'un quart dans le scénario « politique publiques ». En revanche, dans le scénario de rupture, la croissance de la consommation est contenue.
Les pistes pour contenir la demande
Pour se mettre sur les rails de ce futur, des transitions sont à accélérer dans l'ensemble des secteurs. Pour l'agriculture, le scénario de rupture prévoit en effet une réduction de la consommation de viande de 50 %, une relocalisation des cultures de légumes frais, de l'arboriculture et des protéagineux. Il envisage que les pratiques agroécologiques se développent sur la totalité des surfaces agricoles et que des variétés plus résistantes à la sécheresse soient privilégiées. Autre point à noter : mise à part les retenues actées ou en construction, aucun nouveau projet ne serait développé.
Dans l'énergie, le scénario projette que les mesures de sobriété permettent la réduction de la production d'électricité de moitié. Ce qui permet à la part du nucléaire dans le mix électrique de diminuer et de voir la porduction des centrales situées en bordure de rivière baisser de – 80 % entre 2020 et 2050. Ce scénario implique une société sobre également dans les biens matériels.
Dans le secteur résidentiel, le scénario compte sur la récupération des eaux ménagères à l'échelle du bâtiment pour une réutilisation pour d'autres usages. Mais également sur le développement de la séparation à la source de l'urine et des fèces. Il table également sur la réduction des fuites et la stabilisation du nombre de forages domestiques.