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Vols d'eau, puisages illégaux : la sécheresse fait craquer le modèle agricole espagnol

La sécheresse menace les oliveraies de région de Jaen, en Andalousie, qui produisent un tiers de l'huile d'olive de l'Espagne, le leader mondial du secteur.

| Les Échos | Actualités

Le manque d'eau fragilise l'énorme production d'olive et plus largement les cultures espagnoles. La rationalisation de l'irrigation devient une question politique.

L'Espagne craint pour ses olives. La sécheresse prolongée met en péril la récolte de l'hiver prochain pour le pays qui produit habituellement de près de la moitié de l'huile d'olive mondiale, avec 1,5 million de tonnes par an. « Même s'il commençait à pleuvoir maintenant, c'est fichu pour la plupart des oliviers, la fleur n'a pas pris, ils n'auront pas de fruit », explique José Gilabert, oléiculteur et président de la coopérative Puerta de las Villas, qui regroupe 1.300 petits producteurs familiaux, non loin de Jaen.

Dans cette province d'Andalousie, on vit par et pour l'olive. Les collines tapissées d'oliveraies à perte de vue sont à l'origine d'un tiers de la production espagnole, mais les réserves d'eaux s'épuisent et personne ne sait à quoi ressemblera la prochaine campagne.

30 % du volume habituel

« C'est la deuxième année sèche consécutive, explique José Gilabert. L'hiver dernier on avait obtenu 30 % du volume habituel, et le prochain peut être pire », décrit-il. « L'olivier n'est pas gourmand en eau, mais si on ne l'accompagne pas avec un minimum de goutte-à-goutte les rendements plongent, ce sont tous nos efforts pour une activité durable et intégrée qui sont menacés. »

Pour lui, la sécheresse actuelle devrait servir de leçon. « Si les ressources en eau sont réduites, il faut apprendre à vivre avec et ça ne peut pas être chacun pour soi », insiste-t-il en réclamant que la PAC prime mieux les efforts des agriculteurs pour la durabilité.

Piratage des eaux

Les mois de sécheresse d'une intensité inédite vécus cette année en Espagne ont fait surgir au grand jour une série de problèmes de piratage des eaux habituellement passés sous silence. Qu'il s'agisse des puisages illégaux qui alimentent les cultures de fraises de Huelva, ou encore des vols d'eau opérés dans la zone de l'Axarquia, près de Malaga, par des planteurs d'avocatiers et de manguiers qui craignent de voir péricliter leurs productions de fruits tropicaux.

« Il y a un laisser-faire qui ne date pas d'hier, entre les lenteurs et le manque de contrôle des administrations », souligne le biologiste Eloy Revilla, directeur de la station du parc naturel Doñana, menacée précisément par l'épuisement de la nappe phréatique sous la pression de l'extension des cultures de fruits rouge. « Avec ou sans sécheresse on ne peut pas prétendre étendre à l'infini les zones irriguées et introduire des cultures nouvelles peu adaptées à nos réalités », insiste-t-il.

Potager de l'Europe

C'est toute la question de l'avenir de l'Espagne comme potager de l'Europe qui se pose, avertit depuis des années Greenpeace . La question est de savoir comme prendre le virage, alors que le monde rural est sous tension. Le syndicat agricole COAG avertit que 80 % de la surface agricole est en état de sécheresse intense, cinq millions d'hectares de céréales sont en péril et les producteurs de fruits craignent de perdre leurs arbres.

En Espagne, 22 % de l'irrigation se fait encore par inondation, cela n'a aucun sens.

La région de Lérida, au pied des Pyrénées catalans, est l'une des plus touchées. Sans neige cet hiver pour alimenter les rivières, ni pluies ce printemps, il a fallu affronter 15 jours à plus de 40 degrés en avril et, pour la première fois en 161 ans, le réseau d'irrigation du canal d'Urgell qui alimente toute la zone agricole a coupé certaines canalisations, obligeant à des arbitrages difficiles pour les agriculteurs.

Rationaliser et moderniser

« Les récoltes de pêches, pommes ou poires sont menacées et l'important est de sauver les arbres », explique le consultant en irrigation Ignasi Servià Goixart. Avant de parler de réduire la surface agricole, l'urgence, selon lui, est de rationaliser et moderniser l'usage de l'eau. « Le goutte à goutte se montre très efficace et nous avons encore une grande marge de progression, estime-t-il. En Espagne, 22 % de l'irrigation se fait encore par inondation, cela n'a aucun sens. Et cette proportion monte à 47 % dans la région de Lérida, où les exploitants n'avaient pas ressenti jusqu'ici le risque de se retrouver à sec. »

En attendant, le gouvernement a annoncé la semaine dernière en urgence un grand plan de 2,19 milliards d'euros pour moderniser des infrastructures hydrauliques et épauler les agriculteurs avec, en particulier, 636 millions d'aides directes pour faire face à la sécheresse.