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Sécheresse : les restrictions d'eau sont-elles vraiment efficaces ?


Arrêté sécheresse de la préfecture du Val d'Oise du 30 août 2023


| France Info | Actualités

Des dizaines d'arrêtés préfectoraux ont été pris en France ces derniers mois afin d'économiser l'eau. Or, si certains relevés laissent penser que cela permet bien de sauvegarder la ressource, la mise en application des arrêtés est critiquée.

Voilà cinq mois que le département des Pyrénées-Orientales est sous le coup de restrictions d'usage de l'eau en raison d'une sécheresse très précoce. Mais cet été, une bonne nouvelle s'affiche enfin sur l'ordinateur de Grégoire Nadal, du Syndicat mixte pour la gestion des nappes souterraines de la plaine du Roussillon : le niveau de la nappe phréatique mesurée au Barcarès dessine une courbe très rassurante pour la saison. L'effet des restrictions d'eau ? Difficile de l'affirmer. A seulement quelques kilomètres de là, au point de mesure de Bompas, la nappe continue de s'enfoncer dans le rouge, malgré les arrêtés préfectoraux.

Après un hiver très sec, les trois quarts des nappes phréatiques étaient en dessous des normales au début du printemps. Pour éviter un été catastrophique, les préfectures ont alors pris une à une des mesures de restriction d'eau, graduées en fonction de la gravité de la situation. Au 2 août, d'après les calculs de franceinfo, 13 départements étaient classés en alerte, 30 en alerte renforcée et 35 en crise. Pour les niveaux les plus graves, les prélèvements en eau sont alors limités, voire interdits, s'ils ne sont pas prioritaires. Exit, pour les zones en crise par exemple, les remplissages de piscine, l'arrosage des jardins ou les lavages de voiture. Mais est-ce suffisant pour préserver l'eau, dans les sous-sols et les rivières ?

"Il est très compliqué de juger l'impact des arrêtés de restriction d'eau", prévient Violaine Bault, hydrogéologue au Bureau de recherche géologique et minière (BRGM). Car en plus de l'évolution des prélèvements, le niveau d'une nappe peut varier sous l'effet des pluies ou d'autres événements qui touchent son bassin hydrologique. De l'avis des spécialistes interrogés par franceinfo, aucune étude n'a encore évalué à l'échelle nationale l'efficacité de ces mesures sur la ressource en eau. Des travaux seraient néanmoins en cours au sein du BRGM.

Des effets contrastés

En attendant, quelques exemples locaux rassurent les experts. Face à une chute considérable du niveau de l'eau dans certains de ses forages, la préfecture d'Eure-et-Loir a passé, le 26 juillet, une partie du département en niveau de crise. "Si on n'avait pas pris ces mesures, certains forages auraient pu lâcher et 8 000 habitants auraient dû prendre de l'eau en bouteille", explique Guillaume Barron, directeur départemental des territoires en charge de ces sujets. "Là, les niveaux ont des valeurs plus conformes aux normes." Même si ce sont aussi les pluies qui ont limité les besoins en irrigation. 

Dans les Pyrénées-Orientales, la préfecture a passé une partie du département en alerte renforcée dès la fin du mois de février et en crise début mai. "Sur la bordure côtière, comme au Barcarès ou à Sainte-Marie-la-Mer, le niveau [de remplissage de la nappe] baisse habituellement fortement en juin, explique Grégoire Nadal. Cette année, on n'a pas observé cela." D'après les relevés, représentés dans le graphique ci-dessous, le niveau des nappes est passé d'une situation très critique en février à un plateau bien au-dessus des normales. "Comme les pluies ont été faibles à inexistantes, il est certain que l'impact est imputable aux restrictions", juge Violaine Bault.

 

Remplissage

Mais Grégoire Nadal tempère : "Ça n'est pas un constat valable à l'échelle de toute la plaine." D'autres stations de mesure du même département dessinent des courbes en forte chute. A celle de Bompas, située à une dizaine de kilomètres de la côte, la nappe a atteint un niveau abyssal, jamais observé depuis le début des mesures en 2000, comme le montre le graphique ci-dessous.

 

 

S'il est difficile de mesurer les effets précis des restrictions, c'est aussi parce que les autorités sont aveugles sur une partie des données de prélèvement. Là où pour l'électricité, il est possible de connaître heure par heure les niveaux de production et de consommation, on ne dispose pas de données similaires, centralisées et en temps réel, pour les pompages d'eau. De manière générale, la réglementation n'impose qu'une transmission annuelle des volumes prélevés et les relevés automatiques sont loin d'être généralisés.

Une gestion critiquée en 2022

Au-delà des effets des restrictions, ce sont aussi les moyens mis en œuvre pour les appliquer qui sont pointés du doigt. Par la Cour des comptes elle-même, dans un rapport publié en juillet, mais également par l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD), qui a publié en mars un retour d'expérience très critique sur la gestion de l'eau lors de l'été dernier.

L'IGEDD pointe notamment une perte de temps dans la signature des arrêtés de restriction : "La mission a observé dans certains départements des délais anormalement longs entre le dépassement des seuils et l'adoption des mesures de restriction." Des départements ont parfois perdu deux semaines. Guillaume Barron se défend :

"On réévalue la situation toutes les semaines en fonction des données, on est réactifs en gestion de crise." Guillaume Barron, directeur départemental des territoires d'Eure-et-Loir 

La Cour des comptes, elle, critique aussi le manque d'harmonisation : des préfectures mitoyennes peuvent imposer des interdictions différentes pour un même niveau d'alerte. Deux agriculteurs voisins peuvent ainsi avoir des règles d'irrigation opposées, quand bien même ils seraient alimentés par la même nappe.

Pour informer le public de ces arrêtés, d'importants progrès ont été réalisés depuis l'été 2022. Mi-juillet, le ministère de la Transition écologique a publié un nouveau site pour recenser ces textes. Vigieau.gouv.fr permet à chacun de savoir s'il est concerné par des restrictions, en fonction de son adresse. L'outil était certes annoncé pour début mai avec un suivi bien plus complet de la ressource en eau, mais il a tout de même le mérite de remplacer l'ancien site, quelque peu poussiéreux, qui avait été en panne à de nombreuses reprises l'été dernier.

Plus de 3 600 contrôles

Au-delà de l'information du public, la question des contrôles de ces restrictions est également posée. La tâche incombe en premier lieu aux 1 600 agents inspecteurs de l'Office français de la biodiversité (OFB). Les agents de police, de gendarmerie ou même des préfectures sont aussi habilités à les réaliser. Les modalités de ces vérifications sont décidées à l'échelle locale, lors de concertations entre les autorités administratives et judiciaires. En moyenne, une quinzaine d'agents sont affectés par département, mais les contrôles du bon respect des restrictions d'eau sont loin d'être leur seule mission.

"Ces opérations de police se concentrent sur les usages les plus consommateurs en eau et dans les bassins versants où la ressource est la plus fragile." Le ministère de la Transition écologique 

Des équipes de deux à trois agents se déplacent sur le terrain, à des points précis pour contrôler que les volumes prélevés respectent les quantités allouées, ou en parcourant le territoire. Sont d'abord visés les entreprises, les collectivités et les agriculteurs. Puis les particuliers, dans une moindre mesure, d'après Lionel Millardet, chef de projet "eau et milieux aquatiques" au sein de l'OFB. Il assure que ses services ont réalisé plus de 3 600 contrôles de ce genre depuis le début de l'année, dont seulement 8% d'entre eux ont mis en lumière des irrégularités. L'Office français de la biodiversité en avait réalisé environ 11 000 sur toute l'année 2022 et 1 000 en 2021, année largement moins sèche.

Un faible effet dissuasif

Si les règles ne sont pas respectées, les fautifs s'exposent en théorie à une contravention de 1 500 euros d'amende pour les particuliers et de 7 500 euros pour les personnes morales. Dans la pratique, sur les près de 290 irrégularités constatées, seuls 73 cas ont donné lieu à des suites judiciaires, explique l'OFB. Et certaines peuvent se solder par une transaction pécuniaire bien en dessous des 1 500 euros, sans convocation à une audience devant un tribunal. Aucun de nos interlocuteurs, au sein des ministères de la Transition écologique, de la Justice ou de l'Intérieur, n'était en mesure de nous donner le nombre de contrevenants ayant reçu la peine maximale pour cette infraction. Certaines procédures sont toujours en cours.

"Le drame, c'est que la plupart des situations infractionnelles aboutissent à des montants dérisoires", déplore Nicolas Forray, chargé des questions liées à l'eau au sein de l'association France nature environnement (FNE). La Cour des comptes pointait elle-même "le faible effet dissuasif des amendes" et "le faible taux de sanctions effectivement prononcées par la justice". D'autant que d'un territoire à l'autre, les pratiques judiciaires peuvent varier. Dans les Pyrénées-Orientales, territoire habitué aux situations de sécheresse, la justice revendique d'avoir pris les devants.

"On favorise une réponse pénale de pédagogie lorsque les contrevenants sont de bonne foi. Mais le temps de la pédagogie, ça va un moment", prévient Philippe Latgé, procureur de la République adjoint au tribunal judiciaire de Perpignan. Preuve de son volontarisme, le tribunal a intégré le suivi des infractions aux restrictions d'eau au travail du magistrat de permanence. Permettant ainsi d'obtenir une réponse judiciaire plus rapide une fois dressée le procès-verbal sur le terrain. En juin, 180 contrôles ont été effectués sur leur zone, avec moins de 10% d'usages non conformes. Une poignée d'entre eux fait l'objet des sanctions maximales, dans le département le plus touché par les restrictions de France en 2023.

"L'institution judiciaire prend de plus en plus au sérieux les infractions liées à l'environnement." Lionel Millardet, chef de projet à l'Office français de la biodiversité 

Pour Guillaume Barron, "le volet répressif augmentera au fur et à mesure de la montée des enjeux". De quoi faire soupirer d'impatience un autre spécialiste du sujet, qui préfère résumer son amertume sous anonymat. "Entre les délais de mise en place des arrêtés ; les dérogations pour limiter au maximum les impacts économiques ; la faiblesse des effectifs de contrôle ; la réponse judiciaire qui favorise encore la pédagogie... Vous voyez bien les limites de l'action publique."