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Eau : la Cour des comptes étrille la gestion de l’État


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Peu de données fiables, peu de contrôles... Dans un rapport, la Cour des comptes critique fortement la gestion de l’eau en France par l’État. Réduire les prélèvements est la « seule solution », dit-elle.

L’eau manque. Soixante-cinq départements français sont en alerte sécheresse. Depuis cinq ans, environ un tiers du territoire est touché chaque année par des restrictions d’usage de l’eau. C’est dans ce contexte que la Cour des comptes a sorti, le 17 juillet, un rapport fort critique de la gestion de l’eau par l’État français. Il se conclut par une série de onze recommandations pour améliorer la gestion et, surtout, réduire nos prélèvements d’eau, « seule solution » pour préparer l’avenir.

Entre 1990 et 2018, la disponibilité en eau renouvelable (celle qui ne retourne pas dans l’atmosphère par évaporation ou transpiration des végétaux) a diminué de 14 % en France métropolitaine. Et la situation devrait s’aggraver. « Si l’on perd 14 % d’eau pour un réchauffement de 0,6 °C sur la période, je vous laisse imaginer ce qui nous attend avec le réchauffement futur. Il est temps de sortir des mesures de gestion de crise, qui tiennent trop souvent lieu de stratégie », a dit, cinglant, Pierre Moscovici, le Premier président de la Cour des comptes.

Pour la Cour, la priorité « incontournable » est donc de réduire nos prélèvements d’eau. Or, cela suppose en amont de bien connaitre à la fois l’état de la ressource disponible et le niveau des prélèvements effectués. Deux domaines pour lesquels l’institution pointe un défaut de données qui, quand elles existent, sont trop « vagues », voire « erronées », comportent des « incohérences »... et sont donc sources de contestations qui nuisent à toute élaboration de stratégie efficace.

Connaissances lacunaires, projets mal étayés

Premier constat : la mesure de l’état de la ressource en eau du pays est trop lacunaire. « La France métropolitaine compte 2 601 stations de mesure des eaux superficielles et 1 708 piézomètres [des forages permettant la mesure du niveau de l’eau souterraine] » gérés par les services de l’État, comptabilise le rapport. Mais ce réseau de surveillance laisse passer entre les mailles les plus petites masses d’eau. Plus précisément, les cours d’eau, plans d’eau et nappes les plus petites représentent 67 % du total mais seules 5 % d’entre elles sont surveillées. Les interactions complexes qui régissent le cycle de l’eau rendent encore plus ardue la compréhension du niveau des ressources. « La détermination des volumes prélevables en période de hautes eaux est [...] délicate en raison des interactions encore mal connues entre les cours d’eau et leur nappe d’accompagnement », écrivent les magistrats. Lorsque les rivières entrent en crue l’hiver, en période de hautes eaux, elles peuvent, selon les configurations hydrogéologiques, s’infiltrer lentement dans le sous-sol. Elles rechargent ainsi les nappes qui, à l’inverse, pourront alimenter les rivières lors des sécheresses, si elles se sont assez remplies durant l’hiver...

Une autre limite concerne les capacités à se projeter sur le niveau des ressources futures. Le projet Explore 2070, une vaste étude prospective menée par le BRGM, le service géologique national, avance par exemple des chiffres alarmants : jusqu’à 40 % de baisse du débit moyen des fleuves en 2070 et jusqu’à 50 % de baisse du débit d’étiage du Rhône ou de la Seine, les années les plus sèches. Mais cette étude, réalisée entre 2010 et 2012, souffre des nombreuses incertitudes des modélisations et de l’évolution du climat, que pointe le BRGM lui-même. « La situation évolue vite et les chiffres utilisés pour cette étude prospective sont déjà anciens. D’autres études sont d’ores et déjà prévues pour prolonger ce premier travail », résume la Cour des comptes.

Conséquences sur le terrain : des projets de prélèvements massifs en eau, notamment ceux de mégabassines prévues pour l’irrigation, s’appuient sur des études contestées par leurs opposants. Exemple emblématique : la mégabassine de Sainte-Soline ainsi que les quinze autres réserves de substitution en projet dans les Deux-Sèvres ont été validées par la préfecture dans le cadre un protocole signé en 2018. Celui-ci s’appuie sur une étude du BRGM rassurante quant aux conséquences de ces bassines sur les milieux. Mais le Bureau lui-même s’est fendu d’un communiqué relativisant la portée de cette étude : portant sur la période 2000-2010, ses constats ne prennent pas en compte les évolutions récentes ni les conséquences du changement climatique, précisent les géologues.

Des prélèvements non déclarés

La Cour pointe également les carences de l’État en matière de mesure et de contrôle des prélèvements effectués sur le territoire. La loi impose normalement que tout prélèvement supérieur à 10 000 m3 par an fasse l’objet d’une déclaration auprès des agences de l’eau, seuil baissé à 7 000 m3 dans les zones souffrant d’une surexploitation structurelle de l’eau. À titre de comparaison, le maïs irrigué consomme 1 000 à 3 000 m3 par hectare, et un Français, en moyenne, 54 m3 par an. Or, de nombreux prélèvements échappent à ces déclarations, en absence de contrôles suffisants pour évaluer la quantité d’eau réellement prélevée. « Dans le bassin Adour-Garonne, la moitié des 20 000 irrigants ne font pas de déclaration. Leur consommation est estimée à moins de 7 000 m3, sans aucun contrôle », déplore le rapport.

Tout aussi problématique, « la plupart des 25 DDT [directions départementales du territoire] de métropole interrogées n’ont pas pu produire le nombre et la nature des décisions prises ayant un impact sur la question quantitative de l’eau », rapporte la Cour. Autrement dit, aucune comptabilité précise et accessible des autorisations de prélèvement d’eau délivrées par les services de l’État n’est facilement accessible. Le rapport appelle en conséquence à « renforcer sans délai » les contrôles des autorisations de prélèvement.

Les données, quand elles existent, ne sont pas non plus toujours cohérentes entre elles. La Banque nationale des prélèvements en eau (BNPE), qui rassemble les données des agences de l’eau liées aux redevances, estime ainsi à 200 % la hausse des prélèvements dans les Hauts-de-France entre 2012 et 2016 alors que l’Agence Artois-Picardie conclut à une baisse de 5 % pour la période 2009 – 2019. Des écarts massifs et incompréhensibles dans les données qui « jettent un doute sur la fiabilité des données consolidées au plan national », alerte la Cour des comptes.

Le Plan eau manque d’ambition

Le rapport formule en conclusion une série de onze recommandations pour améliorer la gestion et, in fine, réduire nos prélèvements d’eau, « seule solution » pour préparer l’avenir. En plus de « se donner les moyens » d’améliorer nos connaissances sur l’état de la ressource, sur le niveau des prélèvements et de renforcer les contrôles, l’institution conseille d’améliorer la gouvernance et le pilotage des politiques de l’eau à l’échelle locale. Les sous-bassins hydrographiques sont en effet le « maillon faible » de la mise en œuvre de ces politiques. La Cour recommande ainsi une généralisation des commissions locales de l’eau (CLE) et leur saisine systématique pour tous les projets d’urbanisme et de développement économique.

Un axe majeur d’amélioration de la situation passe aussi, pour la Cour, par une refonte totale de la redevance pour prélèvement sur la ressource en eau. Elle propose d’une part de déplafonner le montant de ces redevances pour fournir davantage de moyens aux agences de l’eau. Surtout, elle recommande de simplifier, harmoniser et rendre plus juste la tarification. Celle-ci fait aujourd’hui porter l’essentiel du poids de cette redevance sur les particuliers : ils la financent à 75 % alors qu’ils ne prélèvent que moins de 17 %. Mieux répartir le tarif entre préleveurs, et permettre à celui-ci d’évoluer selon la disponibilité de la ressource, serait selon la Cour un bon levier pour encourager davantage les économies d’eau.

Autant de chantiers sur lesquels le gouvernement est déjà en train de plancher, a assuré la Première ministre dans sa réponse au rapport de la Cour des comptes. Le Plan eau annoncé en mars par Emmanuel Macron doit accompagner la généralisation des CLE. Le renforcement et l’amélioration des contrôles sont en cours, promet Élisabeth Borne, de même que la refonte de la redevance sur l’eau.

Les précisions à venir du Plan eau donneront la mesure des capacités du gouvernement à répondre aux « défaillances de la planification de la gestion quantitative de l’eau » pointée par la Cour des comptes. Concernant le message central du rapport, la réduction des prélèvements, l’ambition affichée est plutôt à la baisse : le Plan eau vise une baisse de 10 % des prélèvements d’ici 2030, contre un objectif de –10 % dès 2024 puis –25 % en 2034 auparavant actés lors des Assises de l’eau en 2019.