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Mégabassines : pourquoi ces projets de retenues d'eau font polémique ?


| ActuPlanète | Bassines

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Dans plusieurs territoires, d'énormes retenues d'eau sont construites. Ces projets posent problème à des militants, des agriculteurs et des élus. On vous explique la polémique.

Ce samedi 25 mars 2023, Sainte-Soline, dans le département des Deux-Sèvres a été marquée par une très forte contestation. 

30 000 militants, élus, associations et autres citoyens anti mégabassines s’y sont rassemblés pour exprimer leur désaccord avec ce projet. De violents affrontements ont suivi.

Mégabassines, réserves de substitution… C’est quoi ?  

Le projet en question, c’est la construction, validée par l’État (pour certaines) d’énormes retenues d’eau dans plusieurs départements. Elles sont nommées « réserves de substitution d’eau », par ses soutiens, et « mégabassines », par ses détracteurs. 
Dans les faits, il s’agit de gros trous étanches creusés à même le sol dans lesquels on pose l’eau en attendant que les agriculteurs en aient besoin. « Elles ressemblent à des énormes piscines », image Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne, contacté par actu.fr.
Il y en a (on en décompte déjà un bon nombre en France) et il y en aura d’autres, « seulement dans les départements où il y a besoin », assure Joël Limouzin, membre du bureau de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), joint par actu.fr.

Dans les Deux-Sèvres, 16 mégabassines ou réserves de substitution vont être construites. L’une d’elles est en construction à Sainte-Soline, justement. 
D’autres devraient voir le jour, comme en Charente-Maritime, territoire dans lequel Nicolas Girod évoque « une centaine » de mégabassines à venir. 
Ces réserves font et feront entre 8 et 18 hectares, et pourront contenir de 200 000 à 720 000 m3 d’eau. L’idée : stocker une grosse quantité d’eau en hiver, pour permettre aux agriculteurs d’irriguer leurs surfaces agricoles même lorsque nous sommes en période de sécheresse. 

Pourquoi y a-t-il polémique ? 

Mise en danger des milieux naturels, renforcement de l’agriculture intensive, « mainmise » sur l’eau… Les arguments des « anti » sont nombreux. 
Déjà, l’eau de pluie n’est pas suffisante pour remplir les réserves. « Des opérations de pompage des nappes phréatiques seront réalisées », explique Nicolas Girod. 
« Mais seulement quand elles seront pleines, en hiver par exemple. Sinon, l’eau en surplus est « gaspillée » car renvoyée vers la mer », conteste Joël Limouzin. 
Quand bien même, les nappes sont rarement pleines, avec des restrictions d’utilisation pour les particuliers, prises plus ou moins tous les étés. Et « ces pompages accentuent la pression sur les ressources en eau », écrit Greenpeace. Pour rappel, début mars, au sortir de la période hivernale, 80 % des nappes françaises étaient dans une situation inquiétante

« Il n’y a jamais de surplus d’eau. L’eau de la nappe phréatique, en hiver, sert à alimenter les rivières l’été. Avec l’aménagement de bassines agricoles, le risque de voir l’assèchement d’un cours d’eau est réel », expliquait, en février 2023, Dominique Frizon De Lamotte, professeur fondateur du département géoscience de l’université de Cergy-Pontoise pour actu Val-d’Oise.

Les militants anti mégabassines voient donc d’un mauvais œil cette pratique, et estiment qu’elle met en danger les écosystèmes alentour. « Ils nous expliquent que les prélèvements d’hiver vont se substituer à ceux d’été. Nous, on pense qu’ils vont s’additionner », commente le porte-parole de la Confédération paysanne. 

L’avis des scientifiques

Réel ou pas ? Pour le moment, aucun consensus scientifique n’a été établi. Le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), dans un rapport, prévoit une « amélioration globale du niveau des nappes au printemps et en été, ainsi qu’une hausse du débit des cours d’eau de l’ordre de 6 % en sortie du bassin ». 
Mais plusieurs géoscientifiques ont remis en cause le document, expliquant, par exemple, qu’il ne prenait pas en compte l’impact sur des cours d’eau mineurs. Dans un article du média Reporterre, Anne-Morwenn Pastier, docteure en sciences de la Terre et autrice d’une thèse sur l’hydrologie et la géologie, dénonce « un rapport bâclé », avec, par exemple, une marge d’erreur sur le niveau des nappes phréatiques qu’elle estime entre 1,20 et 2,2 mètres, contre 2 cm pour le BRGM.

Le BRGM lui-même est revenu sur son rapport, expliquant qu’il ne s’agissait pas d’une « étude approfondie, ni une étude d’impact de toutes les conséquences possibles des prélèvements d’eau envisagés. Il ne s’agit pas non plus d’un article de recherche scientifique soumis à l’évaluation de la communauté scientifique. Il s’agit d’une étude répondant à une commande précise, donnant lieu à un rapport technique permettant de répondre aux questions posées avec les limites associées ».  

« Les simulations ont été réalisées et calées sur la période de référence 2000-2011 », écrit l’organisme. Donc sans prise en compte du réchauffement climatique de ces dix dernières années.
Pour faire simple, le BRGM a simplement répondu à la question qui lui a été posée, sans aller plus loin, à savoir « l’identification de l’incidence de ces prélèvements pour stockage, sur les niveaux de nappes, les échanges nappes/rivières et le débit des cours d’eau ». 
Dans son dernier rapport, le GIEC évoque les méga bassines, mais – comme c’est sa politique – commente sans émettre de recommandation : « les réservoirs sont coûteux, ont des effets négatifs sur l’environnement et ne seront pas suffisants en cas de réchauffement supplémentaire des températures ».
Nonobstant, « des investissements dans de larges infrastructures aquicoles (y compris le stockage) […] nous permettrons de gagner du temps », évoque-t-il. 

La guerre de l’eau

Au-delà des problèmes environnementaux que les anti craignent, des soucis sanitaires et économiques viennent s’ajouter.
D’abord, « il est reproché aux méga-bassines d’altérer la qualité de l’eau. L’eau des nappes phréatiques reste fraîche et de bonne qualité, mais une fois stockée en surface, l’eau se réchauffe, s’évapore, les algues et les bactéries se développent », comme on peut le lire sur le site gouvernemental vie-publique.fr.

« C’est un processus d’eutrophisation« , précise la Confédération paysanne. 

Côté gros sous, Nicolas Girod affirme aussi que tous les agriculteurs ne seront pas forcément gagnants avec ce système. « On va beaucoup plus y connecter les grosses exploitations que les petites fermes maraîchères », craint-il.  Un système qui accentuerait encore un peu plus les écarts entre exploitants, et pourrait très bien créer une sorte de « Guerre de l’eau ».

« Seuls les plus riches agriculteurs peuvent se payer le luxe d’une mégabassine », écrit Marie-Charlotte Garin, députée écologiste, sur Twitter. 
Elle parle même d’un « choix politique : celui d’une agriculture intensive qui maltraite, abime, détruit et renforce les inégalités entre paysans ». 
Car c’est aussi ce que craignent les associations écologistes anti mégabassines : « Les mégabassines servent essentiellement à alimenter des productions très gourmandes en eau, comme le maïs, majoritairement destiné à l’élevage industriel. Elles servent avant tout les intérêts des acteurs agro-industriels, au détriment de solutions locales et paysannes », enrage Greenpeace. 
« Il faut que chacun d’entre nous comprenne : l’idée c’est de donner l’accès à cette eau au maximum d’agriculteurs concernés », répond Joël Limouzin, pas d’accord avec cette accusation.

Pour autant, Nicolas Girod abonde dans le sens de Greenpeace : « ce que nous voulons, c’est permettre à un maximum d’agriculteurs de cultures d’alimentation humaine d’avoir accès à l’eau, sans différenciation ». 
Il dénonce une vision court-termiste de la chose. « Pour le moment, selon les prévisions, on pourrait remplir les bassines 8 années sur 10. Mais si dans 15 ans, on passe à 2 sur 10, que fait-on ? », interroge-t-il. 

« Il faut trouver un partage équitable et éviter que quelqu’un s’octroie l’eau à sa guise », avertit également Dominique Frizon de Lamotte, bien conscient de l’enjeu de l’eau pour le milieu agricole.