C’est sans doute un nouveau chapitre dans l’affaire des polluants dits «éternels». «Un dossier assez énorme est en train de s’ouvrir», assure Générations futures, ce lundi 5 juin. L’ONG de défense de l’environnement revient à la charge concernant les perfluorés (PFAS), substances chimiques omniprésentes, nocives pour la santé et persistantes dans l’environnement, encore mal connues et peu surveillées en France. Mises au point dans les années 40 pour leur résistance à l’eau et la chaleur, elles ont colonisé les objets du quotidien (poêles Téflon, emballages alimentaires, textile, automobile, jouets, dispositifs médicaux, papier toilette) et s’accumulent dans l’eau, l’air, les sols ou les organismes humains qui y sont exposés. Dans la vallée du Rhône, on en a retrouvé dernièrement dans des œufs, des poissons de rivière et même dans des captages d’eau potable. Mais le phénomène serait d’une ampleur bien plus importante. «Il y a d’autres régions concernées», affirme François Veillerette, directeur et porte-parole de Générations futures.
11 molécules différentes détectées dans la rivière
Générations futures lance ce lundi l’alerte après une nouvelle étude réalisée par ses soins sur la situation de l’Oise, dans le département du même nom, où sont notamment installés des sites industriels des groupes Chemours, Arkema ou Dow. Les résultats semblent inquiétants : de nombreux PFAS y ont été détectés en quantité très importante. Les mesures ont été effectuées à proximité d’une plateforme chimique située à Villers-Saint-Paul, là où, il y a dix ans, des analyses avaient déjà révélé une présence importante de ces composés. Au niveau d’un point de rejets industriels dans la rivière, «on monte à 4 200 nanogrammes par litre, avec 11 PFAS différents, c’est très important. Ensuite, la dilution dans la rivière Oise ne fait pas disparaître cette pollution puisque 450 mètres plus bas, on a encore 11 000 nanogrammes par litre. Cela correspond à peu près aux niveaux mesurés il y a dix ans» par les autorités sanitaires, relève François Veillerette. Et de se désoler : malgré les signalements passés, «il n’y a pas eu d’amélioration, le problème est toujours d’actualité dans l’Oise, on continue à ajouter de la pollution à la pollution». Parmi les PFAS recherchés dans la rivière picarde, une molécule, portant le nom de code 6:2 FTS, a été mise au jour à des concentrations importantes. Même si elle ne fait pas l’objet d’une surveillance obligatoire, elle est soupçonnée de pouvoir causer des dommages au foie et aux reins, selon l’ONG. «C’est une situation très préoccupante», s’alarme François Veillerette.
A la lumière de ces analyses, l’association a décidé de porter le combat sur le terrain judiciaire, dans le sillage de semblables procédures engagées dans différents pays. Des plaintes contre X vont être déposées dans l’Oise mais aussi dans deux autres départements où des zones sont contaminées par les PFAS ou soupçonnées de l’être : à Paimbœuf (Loire-Atlantique), un récent rapport officiel a montré une pollution ; et à Tavaux (Jura), lieu d’implantation d’un des cinq producteurs français de PFAS.
«Quand on cherche on trouve» et «nous sommes persuadés que l’enquête pénale dans sur ces sites permettra de mettre en lumière et de trouver ce qui aujourd’hui n’est pas cherché notamment par les services de l’Etat», assène l’avocate Hermine Baron, qui représente Générations Futures. Les plaintes, qui ne ciblent pas les industriels nommément afin que les investigations puissent être élargies à tous les éventuels responsables de la pollution, visent cinq infractions possibles : atteintes à l’environnement aquatique et aux poissons, dégradation de la qualité de l’eau, pollution aggravée des eaux et mise en danger de l’environnement.
Un autre front judiciaire ouvert dans le Rhône
Un autre front judiciaire a été ouvert, ce lundi, dans le dossier des perfluorés. Des habitants vivant autour de la «vallée de la chimie» au sud de la métropole lyonnaise, ainsi qu’une dizaine d’associations et syndicats, dont l’ONG environnementale Notre affaire à tous, ont annoncé avoir saisi le tribunal judiciaire de Lyon dans le cadre d’un référé pénal environnemental, ciblant les rejets de PFAS de l’entreprise Arkema à Pierre-Bénite (Rhône). Et la bataille devrait continuer à s’élargir. «Dans les prochaines semaines ou mois, nous déposerons d’autres plaintes» car des analyses sont en cours sur d’autres sites, promet François Veillerette.
En janvier, l’association avait publié un rapport pour dénoncer une présence «généralisée» des PFAS dans la quasi-totalité des rivières, lacs ou étangs de l’Hexagone. A Paris et dans les Hauts-de-Seine, 100 % des échantillons analysés contenaient au moins un PFAS. Et seuls cinq départements (Corrèze, Dordogne, Tarn, Guadeloupe et Martinique) semblaient épargnés par cette pollution. Dans ce dossier, Génération Futures pointe l’«inaction de l’Etat», incapable à ses yeux de prévenir un problème de santé publique. «Ces substances sont dangereuses pour la santé humaine, rappelle la toxicologue de l’ONG, Pauline Cervan. Ont été associés à une exposition chronique aux PFAS des effets cardiovasculaires, sur le système reproducteur, hormonal, immunitaire, et certains cancers tels que celui des testicules et des reins.»
Reste qu’en janvier, le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, a présenté un plan sur les PFAS, avec pour principal objectif de mieux identifier les zones touchées. Dès sa parution, certaines associations écologistes, dont Générations Futures, ont pointé son manque d’ambition. A son tour, le 14 avril, l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD) a dressé, dans un rapport, un «constat inquiétant», recommandant à l’Etat français «une interdiction d’usage, de production et d’importation de l’ensemble des PFAS».