Accéder au contenu principal

Alors que les signes de pollution de l’eau se multiplient dans l’Aisne, Syngenta, le géant des pesticides parle


Ingénieure agronome chez Syngenta, Hélène Vergonjeanne est spécialiste de l’eau au sein de l’équipe agriculture durable


L'UNION

Laon et sa Région

| L'Union | Pollution

A côté de la chloridazone de BASF, un dérivé d’une molécule de Syngenta se retrouve aussi dans l’eau potable. Cinquante ans après la mise sur le marché du produit d’origine, l’industriel dit attendre des données sur son éventuelle toxicité.

Depuis l’apparition d’un résidu de fongicide (le chlorothalonil) dans les eaux d’Évian, c’est le branle-bas de combat à la direction générale de la santé, chez les responsables des unités de distribution d’eau potable, les maires et autres syndicats. Le contexte politique ne vient rien arranger alors que les exécutifs européens ont reconduit le 16 novembre l’utilisation du glyphosate pour dix ans et refusé six jours plus tard, de diminuer d’ici 2030 l’utilisation de pesticides de 50  % par rapport aux années 2013-2017. L’inquiétude enfle chez les gestionnaires de réseaux. Syngenta, le créateur du fongicide à l’origine de cette nouvelle alerte sanitaire a répondu à nos questions. « Dans un esprit de transparence », assure t-on.

Notre interlocuteur est Hélène Vergonjeanne, responsable de l’équipe « agriculture durable » de Syngenta, ingénieure agronome, diplômée à HEC en « management de marques, lobbying et communication de crise » Lors de cet entretien, elle était épaulée par Sébastien Evain, responsable de la communication pour le pôle français de la société.


L’entreprise a eu à enregistrer avec le Chlorothalonil, un retrait de produit suite à une décision européenne. Etait-ce la première fois ?

Non. Tous les dix ans, nous devons solliciter une nouvelle homologation européenne pour les substances actives qui composent nos produits. Il nous faut fournir de nouvelles études toxicologiques. Après, deux pays missionnent un rapporteur et un co-rapporteur pour examiner les dossiers et soumettent leurs évaluations à l’Autorité européenne de sécurité des aliments et aux autres États membres qui alors sont amenés à se prononcer par vote sur la réinscription ou non. Chaque pays peut autoriser des formulations à base de ces substances suivant ses usages et ses besoins. C’est un long processus.

L’utilisation de produits contenant du Chlorothalonil a donc été interdite. Une surprise pour vous ?

Je ne saurai pas vous répondre. Les exigences européennes évoluent et les connaissances scientifiques aussi. L’utilisation de produits contenant du Chlorothalonil est interdite en Europe depuis en mai 2020 après la non-approbation de la matière active dans l’Union européenne en avril 2019. Les derniers usages ont été autorisés jusque fin 2020 en agricole. La molécule était également présente pour ses qualités de biocide dans les peintures pour bateaux, le traitement de cuir je crois.

À la suite de l’interdiction de commercialisation et d’utilisation de cette molécule, et après la découverte de la présence assez fréquente de l’un de ses produits de transformation dans les eaux de consommation humaine, le R 471811, Syngenta a transmis un argumentaire aux autorités européennes concernant ce métabolite. Vous pouvez-nous en dire plus ?

L’Anses a classé ce métabolite comme pertinent. Syngenta a fourni à l’Agence nationale de sécurité sanitaire une argumentation sur la base de nouvelles données pour démontrer la non-pertinence du métabolite et obtenir la révision de son statut. Le résultat de cette évaluation par l’ANSES devrait être connu courant 2024.

Pertinent, donc avec des seuils de détection imposés très bas. Un produit au final dangereux ?

Le métabolite R471811 a fait l’objet de tests approfondis et l’ANSES a déjà conclu dans son avis de janvier 2022 qu’il n’était ni mutagène ni génotoxique. Il reste un flou autour de son potentiel cancérigène selon l’agence Pour l’instant, il est classé de ce point de vue en catégorie 2.

Mais l’agence européenne a considéré en 2019 que la molécule mère, interdite donc était une « substance dont le potentiel cancérogène pour l’être humain est supposé ». C’est au vu de cela que l’agence française a préconisé que le métabolite soit aussi classé de la même façon, non ?

Il y a peu d’études scientifiques sur le sujet et ce produit n’est pas actif.

En quoi le fait de considérer un produit comme pertinent vous importe-t-il désormais puisque la molécule dont il est issu est désormais retirée du marché ?

La pertinence d’un produit conditionne un niveau de conformité de l’eau aux exigences réglementaires mais n’est nullement synonyme de dangerosité. Pour nous c’est un sujet d’étude. Il est important de le conduire en collaboration avec les autorités.

Parallèlement, Syngenta a entamé une expérimentation sur des rats car le produit est suspecté d’entraîner des cancers du rein. Quand cette expérimentation a t-elle débuté ?

Je n’ai pas connaissance de cette donnée. C’est quelque chose qui est mené par des laboratoires accrédités qui consiste en une étude de toxicité in vivo de 90 jours chez le rat. Elle permettra à l’ANSES de fixer une valeur sanitaire maximale (Vmax), si besoin, afin de pouvoir gérer de façon proportionnée les dépassements de la valeur limite de qualité. La Vmax, c’est-à-dire une quantité de produit en deçà de laquelle son absorption ne pose pas de problème. Pour l’instant, cet élément n’existe pas.

Quand les résultats de cette expérimentation seront-ils connus ?

Je pense dans le courant de 2024.

Mais plus précisément ?

Nous espérons un retour pour le premier semestre 2024.

N’est-ce pas curieux de voir l’industriel qui a créé et commercialisé la molécule aujourd’hui incriminée diligenter aujourd’hui des études sur sa possible dangerosité ?

Quand un produit est commercialisé, c’est qu’il a satisfait toutes les exigences imposées. C’est pour cela que l’homologation n’a qu’une durée de dix ans. Les connaissances scientifiques progressent et la perception des chercheurs et du public évolue aussi. Il n’est pas anormal de chercher à compléter les études pour un produit régulièrement homologué depuis 1970.

Est-ce qu’un organisme extérieur et indépendant, veille au bon déroulement des études et des expérimentations ?

Tout cela est réglementé. Les études ne sont pas conduites directement à Syngenta mais par des laboratoires accrédités qui respectent des lignes directrices internationales.

Les conséquences financières d’une pollution de l’eau pour les collectivités et les administrés sont considérables. La Fédération nationale des collectivités concédantes et régies estime à environ 15 milliards les fonds à engager pour préserver la qualité sanitaire de cette eau sur le territoire. L’entreprise pourrait-elle être rendue comptable de cette pollution par ses produits ?

Il faut rappeler que le produit a toujours été homologué et que nous avons toujours fait en sorte que ses utilisateurs l’emploient en suivant nos recommandations. Il est important de dire aussi que Syngenta n’est pas la seule entreprise à l’avoir commercialisé. Quand le brevet est tombé dans le domaine public, le produit a été vendu sous forme de génériques.

Pourquoi l’inventeur d’un pesticide n’effectue-t-il pas, avant la demande mise sur le marché, des tests sur les métabolites que ce produit va générer ?

Les expérimentations sont faites en fonction des connaissances scientifiques que l’on a à ce moment-là.

Les études et expérimentations que vous avez évoquées concernent-elles d’autres métabolites que le R 471811 ?

Non. Celui-là, on le retrouve plus fréquemment que d’autres et à des taux très variables. Les autres ont presque tous disparu et quand ils subsistent, c’est à très faible dose.

Vous avez assisté en juin dernier à Nice à un congrès consacré notamment à la qualité de l’eau en France. Vous auriez dit, pendant l’une de vos interventions, que vous étiez relativement confiante quant aux résultats des expérimentations en cours sur le rat. Vous confirmez ?

Nous sommes relativement confiants dans la mesure où l’on a déjà une valeur maximale à ne pas dépasser pour la substance mère Chlorothalonil. C’est 45 µg/litre. En général, les produits de transformation sont moins nocifs que la molécule mère.

Aujourd’hui, le seuil de pertinence est fixé par défaut à 0, 1 alors qu’il est de 0, 9 pour un produit dit non pertinent. Avec ces recherches en cours, il y a de gros enjeux pour votre société non ?

Encore une fois, nous répondons aux exigences européennes.

Lorsqu’on la questionne pour savoir quels sont les communes touchées par des dépassements de la norme de qualité ou de la valeur transitoire dans l’Aisne, l’agence régionale de santé répond que des analyses sont en cours et que les procédures doivent être affinées. Est-ce lié à votre avis aux études que vous menez de votre côté ?

Je ne pense pas. Nous n’avons pas de relations particulières avec les ARS.

Savez-vous combien les produits à base de Chlorothalonil ont rapporté à l’entreprise ?

Non, et je ne crois pas que nous soyons en mesure de le savoir.

Le produit est interdit en Europe. Mais ailleurs, est-il encore commercialisé ?

Oui.

Dans quelques pays ?

Par exemple aux États-Unis, il me semble. C’est fonction de la réglementation et de la perception des utilisateurs, des scientifiques et des usagers.