À Banthelu, la méga-bassine creusée sans autorisation suscite un tsunami de protestations
Une immense retenue d’eau a été créée par un agriculteur du village du Val-d’Oise, sans permis d’aménagement. Si le forage n’est pas encore actif, le projet suscite une levée de boucliers. Habitants et associations, qui organisent un rassemblement samedi, réclament l’ouverture d’un grand débat sur la gestion de l’eau.
Certes, elle n’est pas aussi grande que celles qui font polémique dans les Deux-Sèvres et notamment à Sainte-Soline. Mais dans le petit village de Banthelu, dans le Val-d’Oise (150 habitants), on ne voit qu’elle. Une méga-bassine de 125 mètres de long et de 50 mètres de large, l’équivalent de cinq piscines olympiques, trône désormais au milieu des champs, en bordure de la bourgade. Elle a été dimensionnée pour pouvoir stocker 25 000 m3 d’eau. Si elle ne passe pas inaperçue, ce n’est pas seulement parce qu’elle dénote avec ses grandes bâches en plastique, au milieu du paysage bucolique du parc naturel régional du Vexin.
C’est aussi parce qu’il s’agit de la première « bassine », creusée en Île-de-France dans le but d’arroser des cultures agricoles fragilisées par le réchauffement climatique. C’est pourquoi cinq associations appellent au rassemblement ce samedi à 14 heures devant la mairie de Banthelu. Elles entendent dénoncer cet aménagement et exiger que « l’eau soit gérée comme un bien commun. » En décembre, avec un habitant de la commune, ces organisations ont déposé un recours au tribunal administratif de Cergy.
Une bassine creusée au milieu de l’été
C’est en rentrant de vacances d’été que la plupart des habitants du village ont découvert ce gigantesque trou. « En septembre, les travaux étaient finis, tout le monde a été pris de court », raconte Corinne.
Les villageois intrigués recherchent alors en vain un quelconque affichage, expliquant ces travaux. « Cela paraissait tellement gros, nous nous sommes dit que ce n’était pas possible, qu’un tel chantier n’avait pas pu être fait sans autorisation », souffle Corinne. « En plus nous sommes dans un parc naturel, nous n’avons pas le droit de changer la couleur de nos volets ou de ne mettre que deux carreaux aux fenêtres au lieu de trois, sans que cela pose problème ! »
En réalité, une déclaration de forage a bien été déposée en préfecture en temps et en heure. Le porteur du projet a été autorisé à prélever 149 750 m3 par an pour remplir sa bassine, destinée à arroser 350 hectares de cultures. En revanche, la bassine elle-même n’a fait l’objet d’aucune demande d’aménagement avant que ne soient achevés les travaux.
À la rentrée, les questions commencent à fuser au village et des voix s’élèvent. Une demande de permis d’aménager est finalement déposée en mairie le 13 septembre « pour la création d’une réserve d’eau (bassin). » Si la bassine est bel et bien achevée, elle n’a pas encore été mise en eau. Ne manque que le raccordement au point de forage qui se situe juste à côté.
« Les nappes sont trop basses »
Mais les associations espèrent bien que la cuve ne sera jamais remplie. C’est tout l’objet du recours qui a été déposé devant le tribunal administratif pour contester l’avis favorable donné par la préfecture. « Les ressources en eau du Val-d’Oise sont médiocres en quantité et qualité après la sécheresse, on sait que le réchauffement de la planète va accentuer le manque d’eau, nous courons à la catastrophe », s’alarme Jean Lyon fondateur du collectif Demain le Vexin.
Pour les militants, ce combat dépasse largement les frontières de Banthelu et revêt une dimension politique. « La préfecture s’est contentée de valider une déclaration sans consultation, sur le fond c’est la question de la gestion de l’eau qui est en jeu », pointe Bernard Loup, président de Val-d’Oise environnement, l’une des associations mobilisées. « On autorise des forages à 80 ou 100 mètres de profondeur pour des usages agricoles alors que l’eau potable n’est puisée qu’à 40 mètres », détaille le militant qui craint un épuisement des nappes.
Un avis partagé par la Confédération paysanne également partie prenante du recours. « Les nappes sont trop basses aujourd’hui c’est un fait. Les bassines ne sont pas du tout une solution pour lutter contre le réchauffement climatique : elles vident les nappes et induisent une grosse perte via l’évaporation », souligne Gaspard Manesse porte-parole du syndicat et maraîcher dans les Yvelines.
D’un point de vue écologique, ces gigantesques stockages d’eau constituent une aberration pour certains. « Toute artificialisation des sols est un contresens. Enlever la terre fertile du dessus pour étendre une bâche en plastique, cela a évidemment une incidence. »
« Une retenue d’eau irrégulière », estime la préfecture
Enfin, dernier aspect, et non des moindres : l’aménagement de bassines se fait aussi au détriment des autres cultivateurs. « Il y a un phénomène d’accaparement de l’eau. Beaucoup d’agriculteurs ont des forages, mais ils ne stockent pas. Ce n’est pas le petit maraîcher du coin qui va pouvoir faire une bassine. C’est donc une concurrence absolument déloyale. Il faut absolument qu’il y ait un débat public sur l’eau, que ce soit concerté de manière citoyenne. »
De son côté le propriétaire du terrain concerné, céréalier retraité, rappelle toutes les difficultés rencontrées par une profession fragilisée à chaque période de sécheresse intense. « L’agriculteur d’aujourd’hui se doit de maîtriser l’eau », estime Olivier Hue, également conseiller municipal de Banthelu. Il confie avoir eu du mal à trouver un repreneur pour son exploitation et s’estime chanceux d’avoir pu la céder à son jeune neveu, qui est le porteur du projet de bassine. « On nous dit qu’il faut produire local, mon neveu veut changer l’orientation des cultures. S’il a besoin d’arroser, c’est pour faire des pommes de terre, des oignons. Cette bassine c’est une nécessité. »
Concernant l’absence de permis d’aménager, Olivier Hue plaide « l’erreur de jeunesse. Toutes ces procédures, cette complexité administrative, cela demande tellement de compétences maintenant… »
La préfecture de son côté est formelle. « Cette retenue d’eau est irrégulière du point de vue du droit de l’urbanisme, elle n’a pas lieu d’être », résume le préfet Philippe Court indiquant qu’une grande partie de l’ouvrage se trouve en zone non constructible. Le représentant de l’État explique avoir demandé au maire de Banthelu (que nous n’avons pu joindre malgré nos nombreuses tentatives) de dresser un procès-verbal de l’infraction. « Si ce n’est pas fait, je me substituerai à lui pour le faire et demanderai une remise en état du site. »
En revanche concernant l’autorisation de forage, les services préfectoraux ne voient pas le problème. « Compte tenu du volume, ce forage est soumis à un régime de simple déclaration, nous regardons juste s’il correspond au schéma directeur de l’aménagement et de la gestion des eaux (Sdage) », nous a affirmé la préfecture.
Un fonctionnement qui interpelle au sein de la population de Banthelu. « Au moment où ils autorisaient le forage, nous étions soumis à de fortes restrictions d’eau à cause de la sécheresse ! », lance Corinne perplexe.