Métabolite du Chlorothalonil : une limite de gestion dans l'eau potable qui suscite le débat
L'Anses vient de passer de 0,1 à 0,9 µg/l le seuil dans l'eau potable pour un métabolite du Chlorothalonil. A l'inverse, l'autorité Suisse a dû se défendre face à Syngenta pour le respect de la limite de 0,1 µg/l.
Il est le premier métabolite de phytosanitaires le plus fréquemment retrouvé dans l'eau potable par l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) : le Chlorothalonil R 471811 vient de voir son statut modifié, ce qui va changer la gestion de la ressource. Jusqu'à présent considéré comme métabolite pertinent, c'est-à-dire susceptible de présenter un risque sanitaire, la limite à ne pas dépasser pour maintenir la qualité de l'eau potable était fixée à 0,1 microgramme par litre (µg/l). Mais un nouvel avis de l'Anses, publié fin avril, rebat les cartes.
À la suite de la réception fin juin 2023 d'études complémentaires sur la substance active, l'autorité sanitaire a réévalué le classement de ce métabolite. Résultat ? Sous ce nouvel éclairage, le métabolite est désormais classé « non pertinent » avec en conséquence un seuil moins strict à respecter, 0,9 µg/l au lieu des 0,1 µg/l. Autre implication : il ne sera plus intégré dans le calcul du seuil total de pesticides à ne pas dépasser (fixé à 0,5 µg/l). « Toutes les situations pour lesquelles le R471811 se trouvait dans l'eau potable à des concentrations comprises entre 0,1 µg/L à 0,9 µg/L redeviennent "conformes", regrette l'association Générations Futures. Ce nouveau classement permettra d'avoir de meilleures statistiques sur les taux de conformité de l'eau potable ».
En octobre dernier, le même déclassement du métabolite du S métolachlore ESA, seconde substance la plus fréquemment retrouvée, avait suscité la même désapprobation de l'association.
Une substance active, envisagée comme cancérogène supposé
Ce qui a modifié la décision pour le Chlorothalonil R 471811, ce sont de nouvelles études démontrant que ce métabolite ne partage pas le même mode d'action que sa substance active, qui est classée au niveau européen suspectée d'être cancérogène pour l'homme. Un classement que l'agence européenne de sécurité (Efsa) souhaite d'ailleurs voir renforcer en « cancérogène supposé ». Comme c'est l'usage, les données complémentaires utilisées pour arbitrer ont été fournies par la société Syngenta, une des sociétés ayant commercialisé des phytopharmaceutiques contenant la substance active chlorothalonil. Une activité désormais passée en Europe car depuis 2020, les produits en contenant ne peuvent plus être utilisés sur le sol européen. La Commission n'ayant pas renouvelé l'approbation de la substance active. « Il est (…) impossible à ce jour d'établir que la présence de métabolites du chlorothalonil dans les eaux souterraines n'aura pas d'effets nocifs sur la santé humaine ni d'effets inacceptables sur lesdites eaux, avait-elle notamment justifié dans son règlement d'exécution. En outre, [l'Efsa] n'a pas pu exclure un problème de génotoxicité concernant les résidus auxquels les consommateurs seront exposés et a mis en évidence l'existence d'un risque élevé pour les amphibiens et les poissons pour toutes les utilisations évaluées. »
Un bras de fer avec Syngenta en Suisse
En France, le Chlorothalonil R 471811 se distingue par une autre caractéristique : il fait partie comme le S-Métolachlore des contaminants qui déclasse la qualité de l'eau potable. La dernière campagne nationale sur les polluants émergents de l'Anses montre ainsi que 34 % des échantillons des eaux potables dépassaient la limite de 0,1 µg/l. Constituant un casse-tête pour les collectivités en charge de la production d'eau potable…en France mais aussi chez nos voisins helvètes.
C'est en effet en Suisse que la présence généralisée de ce métabolite a été mise en lumière en 2017, pour la première fois. En 2019, après avoir donner comme consigne aux distributeur d'eau potable de respecter le seuil de 0,1 µg/l, et avoir annuler l'homologation du Chlorothalonil à partir du 1er janvier 2020, l'Office fédéral de la sécurité alimentaire (Osav) suisse s'est retrouvé… devant le tribunal administratif. L'entreprise Syngenta conteste en effet ce seuil et veut revenir sur le retrait de l'autorisation.
En février 2021, une première décision transitoire du Tribunal administratif fédéral a exigé de l'Office qu'elle s'abstienne de communiquer sur la pertinence toxicologique des métabolites du chlorothalonil. La décision définitive, rendue en mars dernier, n'a pas maintenue cette restriction. « L'Osav est désormais à nouveau autorisé à communiquer de manière officielle au sujet de la valeur maximale fixée pour les produits de dégradation du chlorothalonil », s'est réjouie l'autorité sanitaire. Un arbitrage définitif est encore attendu concernant l'annulation de l'autorisation.
À quand la transparence dans la production des données ?
Cette affaire remet en lumière la question de l'élaboration des données qui permettent d'arbitrer sur le statut des pesticides et leurs métabolites. « Les données fournies à l'Anses sont souvent les données du fabriquant de la substance active, a noté lors d'un webinaire de l'Astee sur les pesticides, Christophe Mechouk, ancien membre du comité d'experts Eau de l'Anses et aujourd'hui manager, expert en traitement de l'eau. Il y a très peu d'étude 100 % indépendantes. On peut se poser la question sur la transparence des fabricants. » Ce dernier rappelle la pertinence de la création d'un fonds européen auquel cotiseraient les industriels, qui financerait ensuite des études indépendantes.
Cette situation interpelle également sur les possibilités de financements d'études poussées sur des substances interdites et leurs résidus. « Il y a une vraie réflexion à avoir sur comment débloquer ces situations en vue d'un intérêt général qui consisterait à pouvoir accumuler de la connaissance, estime Laurent Brunet, co-pilote du groupe de travail pesticides de l'Astee. Même si quand on raisonne d'un point de vue coût global, le coût des études à mener serait infiniment inférieur au coût de devoir tout traiter, car nous pensons que cette molécule est pertinente. »