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Eau secours ! la pollution de moins en moins potable


| Le Canard Enchainé | Pollution

Faut-il se méfier de l'eau du robinet ? Un directeur d'ARS recommande, dans un message confidentiel, de se préparer à boire de l'eau en bouteille.

CONTAMINÉE par des polluants chimiques, l'eau du robinet est-elle devenue imbuvable ? Didier Jaffre, le patron de l'agence régionale de santé (ARS) d'Occitanie, en est convaincu. Dans un message envoyé le 23 septembre à ses cadres, que « Le Canard » a pu consulter, il lance un sidérant cri d'alarme. A l'en croire, le sujet est chaud bouillant. « Très clairement, nous allons devoir changer d'approche et de discours ; il y a des PFAS (substances poly ou perfluoroalkylées) et des métabolites partout. Et, plus on va en chercher, plus on va en trouver », écrit-il dans son mail. Traduction : l'eau que nous buvons regorge de polluants dits « éternels » (les PFAS) et de résidus de pesticides (les métabolites). Elle « ne doit plus être consommée mais seulement utilisée pour tout le reste, [il faut] donc privilégier l'eau en bouteille ».

Utilisées par l'industrie et l'agriculture, les deux familles de molécules citées comptent plus de 5 000 rejetons disséminés dans l'environnement. Si la toxicité de ces produits n'est pas contestée, les effets de leur présence dans l'eau potable sont encore mal connus. Evaluer les doses journalières admissibles pour l'ensemble de la population reste difficile. Cela n'empêche pas Didier Jaffre de mettre les pieds dans la bassine. Questionné par « Le Canard » sur ces étonnantes déclarations, le dirlo de l'ARS régionale n'a rien laissé filtrer.

Contrôles liquidés

Diplômé d'un doctorat en sciences économiques, ce haut cadre, nommé en Conseil des ministres, n'est pas un expert des eaux de consommation humaine. La veille de l'envoi de ce courriel, cependant, un séminaire rassemblant tous les directeurs d'ARS s'est tenu au ministère de la Santé, à Paris, et c'est à cette source qu'il a puisé l'inspiration de son message. La situation préoccupante de la flotte y a été évoquée, car, depuis le début de l'année, les alertes se multiplient.

Il y a d'abord eu, en janvier, un rapport de Générations futures alertant sur l'omniprésence des PFAS dans les eaux de surface, accompagné, un peu plus tard, d'un dépôt de plainte contre X pour « atteinte à l'environnement ». Selon l'assoce écolo, « une part importante de la population européenne [serait] exposée ». Les dangers des PFAS en cas de trop forte exposition, répertoriés par l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), sont multiples : « augmentation du taux de cholestérol, ... ) cancers, (…) effets sur la fertilité et le développement du fœtus. Ils sont également suspectés d'interférer avec le système endocrinien (thyroïde) et immunitaire ». Gloups !

En 2026, un renforcement des contrôles de ces substances dans l'eau potable sera rendu obligatoire. D'ici là, écrit le patron de l'ARS d'Occitanie, « le conseil donné (…) est de ne pas les faire ». Une méthode éprouvée : pas de contrôle, pas de problème !

Au printemps, l'Anses a jeté un autre pavé dans la mare, en mettant en évidence la présence massive d'un nouveau polluant dans l'eau : les métabolites du chlorothalonil. Selon les estimations de l'agence, ces résidus de pesticides se retrouvent dans le robinet d'un Français sur deux et dépassent le seuil réglementaire dans un tiers des cas. Un sacré cas d'eau !

Là encore, les risques sur la santé ne sont pas clairement établis. Sauf que ces métabolites sont le résidu d'un fongicide, le chlorothalonil, interdit en 2020 et classé cancérogène probable depuis… 2006.

A l'aqueux, comme tout le monde

La Vienne, qui fait partie des premiers départements à avoir lancé des tests à grande échelle, a pu constater l'ampleur du problème : 200 000 des 300 000 clients d'Eaux de Vienne reçoivent une eau non conforme car assaisonnée aux métabolites.

Même chose pour Grand Poitiers, où l'eau de 130 000 habitants, dans 13 communes, n'est pas réglementaire. Qu'à cela ne tienne : le 11 septembre, le préfet a pris un arrêté dérogatoire pour autoriser, malgré tout, sa consommation. Les autorités se veulent rassurantes : le seuil dépassé n'est pas « un seuil sanitaire mais un seuil réglementaire », explique au « Canard » l'ARS de la Vienne. Vienne Nature, association de protection de l'environnement, s'étouffe : on peut donc avoir « de l'eau consommable mais non potable » … Un concept intéressant.

Atlantic'eau, qui dessert une bonne partie de la Loire-Atlantique, est lui aussi confronté à ce problème de métabolites du chlorothalonil. Selon les contrôles lancés par ce fournisseur, 490 000 foyers sur les 550 000 desservis par ses soins dépassent le seuil réglementaire. La préfecture n'en a pas moins refusé de prendre des mesures, au motif que, dans le département, cette molécule ne figurait pas au « contrôle sanitaire » obligatoire. En clair ? Ce polluant ne fait pas partie des substances censées être légalement recherchées dans l'eau. Pas vu, pas pris : si on ne cherche pas, on est sûr de ne pas trouver. « Officiellement, la pollution n'existe pas », conclut Mickaël Derangeon, vice-président d'Atlantic'eau, qui la trouve saumâtre.

Face à la découverte de ces nouveaux polluants, distributeurs d'eau et défenseurs de l'environnement ont le sentiment de se retrouver dans une situation inextricable. « Il y a encore des tas d'autres polluants à chercher, qui ne l'étaient pas jusqu'ici », estime François Veillerette, porte-parole de Générations futures. Jusqu'à trouver dans nos tuyaux une eau potable… qui ne le serait plus vraiment ?