Eau du robinet polluée au dioxane en Île-de-France : beaucoup de questions... et peu de réponses des autorités
D’où vient le 1.4 dioxane, ce solvant potentiellement cancérigène, détecté en 2023 dans deux nappes phréatiques des Yvelines ? Cette molécule chimique synthétique, pour laquelle aucune source naturelle n’est identifiée, avait été repérée à l’occasion d’une campagne de mesures menées par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) pour rechercher des polluants émergents peu connus et pour lesquels il n’existe pas (encore) de réglementation. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les autorités sanitaires ne sont pas bavardes sur le sujet, loin de là.
Selon le rapport de l’Anses, publié en mars 2023, l’étude a permis « de mieux cerner l’étendue de cette contamination en lançant des investigations complémentaires sur certains sites ». Pas un mot, toutefois, sur les sites les plus touchés. Il aura fallu l’intervention de l’autorité administrative indépendante chargée de veiller à la liberté d’accès aux documents et archives publiques pour que l’agence communique deux mois plus tard les résultats chiffrés de ces mesures.
Le 1.4 dioxane est donc présent dans les eaux souterraines de Saint-Martin-la-Garenne/Guernes et Mareil-sur-Mauldre (Yvelines) mais aussi dans l’eau potable qui en est extraite pour alimenter les robinets des Franciliens.
Dans la région Île-de-France, les prélèvements de six sites de captages d’eaux brutes sont revenus positifs : Annet-sur-Marne (Seine-et-Marne), deux des trois sites analysés des Yvelines (Saint-Martin-la-Garenne comprenant neuf forages et Mareil-sur-Mauldre équipé de deux forages), Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis), Osny et Méry-sur-Oise (Val-d’Oise).
Une concentration record de dioxane dans les Yvelines
« Pour chacun, on analyse la ressource et l’eau traitée, pour voir si le système de traitement est efficace », décryptait dans nos colonnes Christophe Rosin, chef de l’unité chimie des eaux au laboratoire Anses d’hydrologie de Nancy (Meurthe-et-Moselle). Verdict : pour l’eau provenant de deux des sites contaminés, le passage en usine de production d’eau potable a suffi pour rendre la présence de dioxane indétectable.
Mais quatre autres alimentent les robinets de milliers de Franciliens avec de l’eau moins contaminée, mais toujours positive. Selon le Sedif (Syndicat des eaux d’Île-de-France), qui a intégré dans son programme de recherche un suivi mensuel de ce paramètre, le système de membranes de l’usine de production d’eau potable de Méry-sur-Oise permet de réduire le taux de cette molécule de 90 %.
Partout où les prélèvements sont revenus positifs, une campagne de vérification a été menée. « Pour le département des Yvelines (78), les points supplémentaires sont tous positifs avec une concentration maximale à 4,8 µg/L (microgramme par litre) », indique le rapport, sans préciser sur lequel des deux sites étudiés a été relevé ce taux record en France. Les multiples questions à l’Anses et l’ARS sur ce point sont restées sans réponse.
Les relances régulières du Parisien ces derniers mois pour obtenir les résultats de cette seconde campagne, site par site, n’ont pas eu plus de succès. Tout juste sait-on que ce record a été établi dans des eaux brutes d’un site des Yvelines, c’est-à-dire avant traitement dans une usine d’eau potable.
« Savoir qu’il y a une contamination historique ne dit pas qu’il n’y en a pas d’autres »
À l’époque, l’Anses et l’ARS promettaient donc de « mener des investigations complémentaires pour comprendre ces niveaux de concentration et leur origine ». « Pour l’un d’eux, on sait d’ores et déjà que ces teneurs élevées sont en lien avec une pollution aux solvants chlorés dans les années 1980 », affirme le rapport, sans préciser s’il évoque les eaux brutes de Saint-Martin-la-Garenne ou celles de Mareil-sur-Mauldre.
« Mais ce n’est pas forcément la seule source, prévient Christophe Rosin. On a des pistes, des connaissances d’industriels qui ont quitté le site. Mais le fait de savoir qu’il y a une contamination historique ne dit pas qu’il n’y en a pas d’autres. Les investigations se poursuivent. » Les soupçons, que n’ont pas souhaité commenter l’Anses et l’agence régionale de santé (ARS), portent notamment sur deux usines de Limay et de Beynes.
Alors, un an après, en sait-on davantage ? Les réponses, quand il y en a, sont lacunaires. La préfecture des Yvelines n’a pas donné suite à nos sollicitations. « Après investigation, il s’avère que nous n’avons pas d’éléments sur ces sujets », répond le secrétariat permanent pour la prévention des pollutions industrielles Vallée de Seine. Pour la Direction régionale de l’environnement (Drieat), le sujet relève de l’ARS. Laquelle renvoie sur l’Anses.
Au début de l’été, le BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) a rendu une étude sur le « fonctionnement de la nappe » de l’un des sites potentiellement contaminé. L’Anses prévoit maintenant de « mesurer les concentrations de certains polluants, dont le 1.4 dioxane, sur des points d’intérêt disponibles et accessibles », écrit l’agence, toujours sans préciser s’il s’agit de Mareil-sur-Mauldre ou Saint-Martin-la-Garenne.
L’objectif est de « mieux évaluer les hypothèses possibles de cette contamination par le 1.4 dioxane, qui pourraient être multifactorielles », complète finalement l’agence régionale de santé.
L’eau est contaminée mais légalement… potable
En attendant, « l’eau distribuée sur les communes concernées est de bonne qualité pour les paramètres analysés dans le cadre du contrôle sanitaire réglementaire et compte tenu des connaissances scientifiques actuelles » répètent les différents intervenants. Traduction : l’eau qui coule aux robinets de milliers de Franciliens est contaminée au 1.4 dioxane mais en l’absence de réglementation pour ce composé, elle reste légalement potable.
La réglementation devrait toutefois évoluer : la Direction générale de la Santé (DGS), chargée par le ministère de mettre en œuvre la politique de santé publique, « a demandé à l’Anses de réaliser une évaluation des risques sanitaires liés à la présence de 1.4 dioxane dans les eaux destinées à la consommation humaine et de déterminer une valeur guide sanitaire », c’est-à-dire un niveau de concentration de polluants à ne pas dépasser dans le but d’éviter, de prévenir ou de réduire les effets nocifs sur la santé humaine. Les conclusions de l’Anses « sont attendues pour fin septembre 2025 ».
Aucune information aux consommateurs concernés
En attendant, la DGS a « donné comme consigne de gestion d’utiliser la valeur de l’agence d’expertise américaine (0,35 µg/L) ». Au-delà de cette valeur, « des mesures correctives doivent être mises en œuvre pour identifier les sources de pollution, réduire la contamination (dilution, traitement, par exemple) et informer les populations », précise la DGS au Parisien.
Une concentration supérieure à 0,35 µg/L a bien été détectée à Saint-Martin-la-Garenne, Mareil-sur-Mauldre et Méry-sur-Oise. « Est-ce que cela signifie que des mesures concrètes ont été mises en œuvre ? Et si oui, lesquelles ? »
Cette dernière question de notre part aux autorités n’a jamais eu de réponse. Selon nos informations, aucune communication n’a été faite auprès des consommateurs concernés.