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Sécheresse : un village ardéchois sans eau potable depuis l’été, « c’est la première fois que je vois ça

| Le Monde | Actualités

Depuis huit mois, Coucouron est approvisionné en eau par camion-citerne. Face aux sécheresses qui s’accentuent, les communes dépendant de petites sources sont de plus en plus vulnérables. A Coucouron (Ardèche), sur le plateau ardéchois, la valse du camion-citerne devait durer le temps d’un été. Mais, depuis juillet 2022, elle n’a jamais cessé. Ce jeudi 2 mars, l’engin viendra dix fois déverser ses 12 000 litres d’eau dans le réservoir asséché du village. « Je charge, je vide, je charge, je vide, de 6 heures à 18 heures », raconte Alexis Delcour, maçon et chauffeur improvisé. L’eau provient de communes voisines qui ont accepté d’approvisionner le village, dont les sources sont taries, ou presque. La faute au manque de pluie. A une année 2022 exceptionnellement chaude et sèche a succédé une sécheresse hivernale qui semble ne jamais finir.


Alexis Delcour, maçon et chauffeur improvisé, effectue jusqu'à dix rotations par jour avec son camion-citerne de 12 mètres cubes pour alimenter le réservoir de Coucouron (Ardèche), le 1er mars 2023.


Dans son bureau, Jacques Genest, le maire divers droite de Coucouron, fait les comptes. La source Villeverte est passée de 216 mètres cubes à 14 mètres cubes de débit, soit une dégringolade de près de 94 %. Celle de Deveses a perdu 67 %. Celle de Combarnal, 58 %. « C’est la première fois que je vois ça », lance l’édile, élu depuis plus de trente ans dans la commune. Pour parer au plus urgent, la municipalité a fait réparer les fuites, qui entraînaient des pertes importantes sur le réseau. Et elle a cherché d’autres sources. Celle de Notari avait été abandonnée il y a des années à cause de pollutions agricoles. « Depuis, les agriculteurs sont partis. On l’a fait analyser, elle est excellente ! Ça nous dépanne un peu », explique M. Genest. Il est aussi prévu de canaliser une autre source, à 7 kilomètres de là. « Mais tout cela représente des coûts énormes pour notre commune de 800 habitants. Et est-ce que cette source coulera toujours demain ? », s’interroge le maire.

100 litres d’eau par jour et par vache

Depuis peu, Coucouron se découvre une vulnérabilité nouvelle. Ici, en bordure orientale du Massif central, c’est un pays de sources et de zones humides, où l’herbe était verte et les hivers enneigés. Dans un rayon de 30 kilomètres autour du village naissent la Loire, l’Allier et l’Ardèche. Mais le territoire, dépourvu de grands cours d’eau et de nappes profondes, dépend entièrement des précipitations… de plus en plus déconcertantes. « Depuis quelques années, les épisodes cévenols ne remontent plus jusqu’à nous comme avant. Il ne pleut pas comme il faut. Le climat change », s’inquiète Pascal Courtial, éleveur et premier adjoint. Dans son étable, chacune de ses 120 vaches laitières boit près de 100 litres par jour, soit un camion-citerne au total. Dans ce secteur sans irrigation, outre l’élevage, c’est surtout la consommation des particuliers et celle des touristes en été qui pèsent sur la ressource.


Pascal Courtial, éleveur bovin, dans son exploitation, à Coucouron (Ardèche), le 1er mars 2023 : « En cinq ans, on a eu quatre sécheresses. Les épisodes cévenols n’arrivent plus jusqu’à nous. »

Dans la région, Coucouron n’est pas le seul village touché par des problèmes d’approvisionnement en eau potable. Dans le bassin de la Loire, dix communes étaient encore ravitaillées par citernes (en Ardèche, Haute-Loire et Puy-de-Dôme) fin février, et bien d’autres sont sous tension. L’été 2022, près de 500 communes en France ont été concernées, selon le ministre de l’environnement Christophe Béchu. Face à l’intensification des sécheresses du fait du changement climatique, les communes isolées dépendant de petites sources sont les plus vulnérables. « On est plus résilients quand on joue sur plusieurs ressources. C’est tout l’intérêt de l’interconnexion des réseaux, et du transfert de compétences de l’adduction d’eau aux intercommunalités d’ici à 2026 : ça permettra aux petites communes d’avoir plus de moyens et d’ingénierie pour améliorer leurs réseaux, réparer les fuites… », estime Hervé Brulé, directeur de la Dreal (direction régionale de l’environnement) Centre-Val-de-Loire.

Un pont qui devrait être submergé l’hiver, à la source de la Loire, au mont Gerbier-de-Jonc (Ardèche), le 1er mars 2023. 

Premiers arrêtés de restriction

Outre les nappes et les sources, les débits des rivières demeurent aussi très bas pour la saison. Que ce soit la Loire, l’Allier, ou des rivières d’Ardèche du Nord comme le Doux et la Cance, toutes atteignent à peine 20 % à 30 % du débit moyen mensuel. Sans pluies dans les jours à venir, la préfecture de l’Ardèche s’apprête à publier ses premiers arrêtés de restriction. Une mesure attendue par certains : « Cela permettrait de commencer à alerter les citoyens, par exemple pour le nettoyage des voitures ou le remplissage des piscines, et les agriculteurs pour qu’ils anticipent par rapport à leurs cultures irriguées, souligne Renaud Dumas, du Syndicat mixte du bassin-versant du Doux. Il faut faire attention dès maintenant pour préserver l’eau potable et les milieux ! »

Pour les écosystèmes, « le risque de cette sécheresse est qu’elle affecte la reproduction des poissons, qui a lieu en hiver, souligne Jean-Pierre Durand, président de la Fédération de pêche de l’Ardèche. D’autant qu’elle se cumule avec celle de l’été, et avec d’autres types de pressions : réchauffement de l’eau, pollutions, barrages… » L’absence de crues empêche aussi la rivière de se nettoyer et de déplacer ses sédiments, qui façonnent les habitats des poissons, écrevisses, insectes… Mais les vraies inquiétudes sont pour l’été prochain qui, sans précipitations majeures dans les deux mois à venir, démarrera avec un déficit hydrique.


Le réservoir du barrage de Naussac (Lozère), le 2 mars 2023, n’est rempli qu’au tiers de sa capacité.

D’ores et déjà, il est très improbable que le grand barrage de Naussac (Lozère), non loin de Coucouron, soit plein cet été. Il n’est rempli pour l’heure qu’au tiers de sa capacité, ce qui est exceptionnel. Cette réserve, d’une capacité de 185 millions de mètres cubes, est pourtant déterminante pour soutenir les étiages (les plus bas niveaux des eaux) de l’Allier, un affluent de la Loire : l’été 2022, ses lâchers d’eau ont représenté jusqu’à 80 % de son débit. « Cela signifie qu’on pourra moins soutenir ces cours d’eau, avec des conséquences pour tous les usages, en particulier l’eau potable, et les milieux aquatiques », explique Benoît Rossignol, directeur chargé de la ressource en eau à l’établissement public territorial de bassin Loire.

Avec le changement climatique, le remplissage de ces grandes réserves s’avère de plus en plus incertain. Dans le secteur de Coucouron, l’établissement public d’aménagement et de gestion de l’eau Loire Lignon a élaboré un contrat territorial pour les années à venir, qui se fonde sur d’autres priorités. A savoir, selon son animateur, Alexandre Dupont : « Améliorer les réseaux d’eau potable, réduire les consommations et préserver les zones humides, qui sont notre premier stockage naturel d’eau. »