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Sécheresse : pourquoi la France veut miser sur le gisement des eaux usées

| Frédéric Mouchon | Actualités

La sécheresse s’installe en France, hiver comme été, obligeant à repenser nos usages. Le gouvernement veut ainsi mettre davantage à profit les eaux dites grises. Celles-ci pourraient servir à l’irrigation, à l’arrosage des espaces verts ou au nettoyage de la voirie. La France a du retard en la matière.

Quand Nicolas Condom a proposé il y a douze ans à la ville de Cannes (Alpes-Maritimes) une opération pilote de recyclage des eaux de sa station d’épuration pour alimenter les balayeuses de la ville et nettoyer ses bennes à ordure, beaucoup l’ont toisé avec circonspection. Les mêmes lui ont fait les gros yeux lorsqu’il a proposé un procédé similaire pour le jardin potager d’une petite commune située au nord de Montpellier. Mais depuis que la France subit de plein fouet des épisodes récurrents de sécheresse, plus personne ne regarde de haut le patron de l’entreprise Ecofilae, spécialisée dans la réutilisation des eaux usées traitées.

À la traîne en la matière, la France veut rattraper son retard. Ce week-end, au Salon de l’agriculture, Emmanuel Macron a annoncé avoir « transmis ces derniers jours au Conseil d’État un décret pour mieux utiliser les eaux usées ». « La réglementationest en train de changer pour encourager le plus possible ce type de pratique, l’objectif fixé par la commission européenne étant de multiplier par six les volumes d’eaux usées recyclées », explique le Centre d’information sur l’eau.

C’est qu’en raison d’une réglementation sanitaire jugée aujourd’hui trop restrictive par l’exécutif, la France réutilise environ 1 % de ces « eaux grises », c’est très peu. « La plupart des tomates produites en Espagne et consommées en France sont irriguées au moyen d’eaux usées traitées souligne le directeur du développement durable de l’entreprise Veolia, Tristan Mathieu. Mais en France, ce procédé est aujourd’hui très marginal car nous avons jusqu’ici été moins exposés que les autres aux effets du réchauffement climatique. »

« Assouplir la réglementation » pour utiliser l’eau de la douche dans les toilettes

Tout a changé depuis l’été 2022, marqué par une succession inédite de canicules et une sécheresse historique. « Beaucoup de collectivités locales et d’industriels se sont alors tournés vers nous pour se renseigner sur ces solutions de réutilisation des eaux usées qui n’ont pour l’heure été développées que dans 70 stations d’épuration sur les plus de 22 000 que compte l’Hexagone ». Bien conscient du potentiel, le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, espère bien lever certains freins administratifs et sanitaires qui empêchent les communes d’utiliser leurs ressources aquifères comme elles l’entendent.

« Nous devons assouplir la réglementation afin de pouvoir utiliser l’eau de la douche ou de la machine à laver pour la chasse d’eau alors que c’est aujourd’hui de l’eau potable qui est utilisée, nous explique le ministre depuis le Gabon où il accompagne le chef de l’État. En zones littorales, nous devons aussi innover pour pouvoir réutiliser les eaux traitées dans les stations d’épuration en vue d’arroser les parcs ou d’irriguer des terres, plutôt que de les rejeter à la mer. »

Même si les eaux des égouts qui échouent dans les stations d’épuration ressortent débarrassées de la majeure partie des polluants qui pourraient s’avérer nocifs pour le milieu naturel, l’association France Nature Environnement (FNE) reste prudente quant à certains usages. « Les stations d’épuration n’éliminent pas toutes les substances dangereuses présentes dans les eaux usées, souligne le président de FNE, Arnaud Schwartz. Si c’est pour arroser des espaces verts, pourquoi pas ? Mais pour irriguer des champs destinés à l’alimentation se pose évidemment la question des risques chimiques et microbiologiques. »

Arroser un golf, des stades de football, faire de la neige artificielle…

Preuve que les choses sont en train de bouger en France, sur le bureau du patron de la société Ecofilae s’accumule une soixante de dossiers à l’étude. Ici le green d’un golf alimenté par de l’eau « sale » retraitée. Là un projet de module de désinfection des eaux de la station d’épuration de Royan (Charente-Maritime) qui seront réutilisées pour irriguer des terres agricoles. Là encore un programme visant à « faire remonter » dans un lac, à 20 km en amont de la station des Sables-d’Olonne (Vendée), des eaux usées traitées destinées à être « potabilisées ».
Stades de football, espaces verts des parcs d’attractions, façades végétalisées, unités de production de neige artificielle, recharge des nappes phréatiques… les débouchés de recyclage des eaux usées sont multiples. « Si l’on ne réutilisait que 10 % de ces eaux au lieu de 1 % aujourd’hui, cela couvrirait une bonne partie des besoins d’irrigation des agriculteurs, estime Tristan Mathieu. Et si l’on bâtissait aujourd’hui une ville nouvelle, tout se concentrerait autour de la station d’épuration pour fournir en eau l’industriel local, le maraîcher et la station de lavage de voiture. »

Nicolas Condom est persuadé que l’avenir est aux mini-stations d’épuration intégrées… au cœur des immeubles. Il cite ainsi ce projet pilote imaginé dans une résidence de standing de Saint-Raphaël (Var). Les eaux « grises » des salles de bains d’une cinquantaine de logements y seront récupérées et traitées dans une unité de recyclage installée au sous-sol de l’immeuble afin d’irriguer les espaces verts. « Au Japon, c’est une pratique courante depuis cinquante ans, assure le chef d’entreprise. Et à Madrid, tous les nouveaux bâtiments seront à terme conçus de la sorte. »