Skip to main content

Sécheresse : comment la France peut-elle se préparer à affronter un (possible) nouvel été à sec ?

| Marie-Adélaïde Scigacz | Actualités

Faute de pluie et face au faible niveau des nappes phréatiques dans certaines régions, la sécheresse pourrait de nouveau frapper à l'été 2023, poussant les territoires et leurs habitants à s'adapter à marche forcée.
Des restrictions précoces pour éviter le pire ? "Anticipez !" demande le ministre de la Transition écologique aux préfets, dans un entretien au JDD paru dimanche 26 février. Avant de les recevoir au ministère, Christophe Béchu affirme qu'il leur tiendra "à chaque fois le même message" : "Prenez les mesures qui permettent dès à présent de faire des économies d'eau."

Si l'été 2022 a mis au jour les vulnérabilités de nombreux territoires face au manque d'eau, la sécheresse hivernale fait craindre de nouvelles difficultés à venir, accentuées et répétées sous l'effet du changement climatique. Pour s'y préparer, le ministre Christophe Béchu et sa secrétaire d'Etat à l'Ecologie, Bérangère Couillard, présenteront bientôt un "plan sécheresse". Mais comment agir dès maintenant, pour ne pas revivre en 2023 les galères de l'été précédent ?

En adaptant (en attendant de transformer) l'agriculture

En France, l'agriculture représente 45% de la consommation d'eau, et jusqu'à 80% en plein été. "C'est en modernisant les systèmes agricoles, en les rendant plus performants, que l'on réalise les économies les plus importantes", assure Hélène Michaux, directrice du département du programme et des interventions de l'Agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse. Micro-irrigation et goutte à goutte plutôt que pulvérisateurs, instruments aidant les agriculteurs à optimiser leur usage de l'eau… Des solutions techniques existent, à condition de pouvoir se les offrir.

Dans le contexte du changement climatique, ces investissements offrent "une forme de couverture contre le risque, puisque l'agriculteur sera en capacité de maintenir ses rendements, même durant les années très sèches", souligne Arnaud Reynaud, directeur de recherche à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae). Reste une question pour les exploitants, selon lui : "Est-ce que les bénéfices que je vais en retirer vont couvrir cet investissement parfois très important ?"

L'office FranceAgriMer a ouvert, le 13 février, un guichet doté d'un budget de 20 millions d'euros visant à financer des matériels de lutte contre les aléas climatiques (document PDF) réservé aux agriculteurs assurés contre le risque climatique. La création d'une autre enveloppe de 20 millions d'euros a été actée le 9 février, "pour la protection contre la sécheresse", à destination de toutes les exploitations. Mais il est "difficile de savoir l'impact de ces nouvelles mesures sur les comportements sur le terrain", souligne Arnaud Reynaud.

L'approche réglementaire via les arrêtés préfectoraux ayant montré ses limites et les variations sensibles du prix de l'eau n'ayant pas d'effets significatifs, cet expert suggère une autre incitation : la comparaison. Co-auteur d'une étude menée sur les coteaux de Gascogne, Arnaud Reynaud a observé l'effet sur les comportements d'"une sorte de [compteur] Linky de l'eau", permettant de confronter la consommation des agriculteurs à celle de leurs voisins. Une "troisième voie" peu coûteuse et rapide à mettre en place.

Enfin, le ministre de l'Agriculture a souligné mercredi que 60 nouveaux projets d'ouvrages hydrauliques à vocation agricole seraient "mis en service" d'ici à juin. Mais ces ouvrages, dont les controversées bassines, rencontrent de vives protestations locales. Elles se révèlent une solution à court terme qui "va dans le sens inverse" du besoin d'adaptation, selon le chercheur. "Le fait de disposer de stockages supplémentaires maintient les agriculteurs dans des cultures à fort niveau d'irrigation", explique-t-il.

En intervenant en urgence sur les failles du réseau 

C'est aussi dans les zones rurales que l'on retrouve l'essentiel des quelque 700 communes qui ont connu des difficultés d'approvisionnement à l'été 2022. Dans les Monts d'Arrée, à Berrien (Finistère), la galère a duré cinq mois. La sécheresse a révélé que le forage utilisé pour alimenter la commune n'était plus assez profond. Ces réseaux d'eau anciens, sous-dimensionnés et parfois peu entretenus, sont un chantier urgent, explique Guillaume Dolques, spécialiste de l'adaptation au changement climatique, à l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE). "Sachant qu'une canalisation est remplacée en moyenne tous les 160 ans, l'urgence est d'investir massivement dans la rénovation", insiste-t-il, alors qu'en moyenne 20% de l'eau potable s'échappe des tuyaux via des fuites.

À Berrien, pour "être prêts d'ici juillet prochain", le maire a lancé en février "des travaux pour la pose d'une canalisation entre la source de Scrignac et le château d'eau", ainsi qu'un projet de nouveau forage, cofinancé en partie par l'Etat et l'agence de l'eau Loire-Bretagne. A l'Agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse, Hélène Michaux confirme que l'épisode de 2022 a conduit davantage de collectivités à solliciter des aides pour sécuriser l'arrivée de cette précieuse ressource jusqu'aux robinets.

Grâce à une rallonge de 17 millions obtenue en 2023, l'Agence a "lancé début janvier un appel à projets de 20 millions d'euros visant à sécuriser l'alimentation en eau potable des collectivités", explique-t-elle. "Réduction des fuites, réhabilitation des réservoirs d'eau potable vétustes, mise en place d'interconnexions en zones rurales, où des communes peuvent se retrouver très vulnérables..." Les moyens mis en œuvre sont nombreux, et déployés en situation d'urgence, énumère la spécialiste.

"L'Etat procède par à-coups", regrette Guillaume Dolques, co-auteur d'une étude sur le rôle des collectivités en matière d'adaptation. "A court terme, on estime qu'il faut sanctuariser les moyens des agences de l'eau (...), et sortir de la logique d'enveloppes annuelles au profit d'investissements à long terme, pour être prêts à ce que sera le climat dans 10, 20, 30 ans", met-il en garde.

En attendant, start-ups et entreprises du secteur développent des outils de plus en plus performants pour traquer les fuites. Sous la capitale, 3 000 capteurs acoustiques repèrent la moindre faille.

Robot : des machines luttent contre les fuites d’eau en ville
"Ces nouvelles technologies vont nous permettre de cibler les travaux, avec moins d'impact pour les riverains puisque l'on va intervenir au plus près de la fuite ou de la conduite défectueuse", détaillait en janvier à France 2 le responsable du Syndicat des eaux d'Île-de-France.

En accélérant le déploiement de la réutilisation des eaux usées traitées

En Espagne, 14% des ressources en eau proviennent déjà du recyclage des eaux usées. Ce taux atteint 8% en Italie, contre moins de 1% en France. Pour combler ce retard, le ministre de la Transition écologique et le ministre de l'Agriculture ont mis en avant un décret à venir faisant sauter des "freins réglementaires". "La législation va changer pour assouplir et clarifier un certain nombre de choses", a abondé Marc Fesneau, invité de France 2, vendredi matin.

La réutilisation des eaux usées traitées s'effectue en effet dans le cadre strict de la réglementation sanitaire. Il est ainsi peu probable que ces systèmes soient utilisés à grande échelle en cas de sécheresse à l'été 2023, ce qui n'empêche pas des acteurs du secteur de s'y préparer.

Aux Baux-de-Provence, des eaux usées pour irriguer des oliviers
France 3 Provence-Alpes
A Sainte-Maxime (Var), le golf est déjà arrosé avec des eaux usées traitées. En juillet, Véolia annonçait l'installation de nouveaux équipements sur 30 sites. Dans un premier temps, "l'eau recyclée remplacera l'eau potable nécessaire au fonctionnement et à l'entretien des stations d'épuration" faisait savoir le groupe, avant que son utilisation ne soit "étendue à certains usages industriels et agricoles, comme l'irrigation ou le nettoyage de voiries, permettant aux collectivités, aux agriculteurs et aux industriels de diminuer la consommation d'eau potable."Selon le baromètre annuel Kantar/CIEAU, "Les Français et l'eau", publié en décembre 2022, les Français adhèrent largement au principe : 80% des personnes interrogées se déclarent prêtes à consommer des fruits et légumes arrosés grâce à ce type de ressource.

En encourageant la sobriété, à tous les niveaux

L'été 2022 a marqué les esprits. Selon ce même baromètre, ils étaient 92% à faire attention à leur consommation d'eau à la rentrée, contre 87% au printemps. Aujourd'hui, 69% d'entre eux sont convaincus qu'ils manqueront d'eau à l'avenir, contre 32% il y a 25 ans. Les personnes interrogées soutiennent massivement des solutions impliquant plus de sobriété : 79% admettent devoir modifier leurs habitudes et 66% se prononcent en faveur d'une réglementation qui limiterait les consommations. Les trois quarts souhaitent être aidés grâce à un compteur d'eau "intelligent" qui les alerterait en cas de dépassement d'un certain seuil. "Nous consommons 150 litres d'eau par personne et jour", rappelait encore Christophe Béchu, fin janvier. Pour diminuer cette consommation, le gouvernement envisage "une forme d'Ecowatt [du nom du dispositif d'information et d'alerte chargé de prévenir les Français en cas de tension du réseau électrique] de l'eau, sur lequel on trouvera l'état des tensions dans le secteur où on se trouve."

Contrainte ou choisie, cette sobriété est déjà à l'œuvre dans le Var, où plus de la moitié des communes font face à un niveau plus ou moins élevé de contraintes. Vendredi, Saint-Zacharie et Riboux étaient placées au niveau "sécheresse alerte renforcée" par la préfecture du département. Interdiction d'arroser les pelouses, les terrains de sport et les jardins potagers en journée, interdiction de laver sa voiture ou de remplir sa piscine… Saint-Zacharie envisage désormais "d'équiper les bâtiments communaux de citernes et d'inciter les gens à faire de même, pour récupérer l'eau de pluie", a confié mercredi Raymond Merlo, élu en charge de l'Environnement, cité par l'AFP.

Ce levier reste "une goutte d'eau" en matière d'économie. "Il faut le faire, mais même si chacun réduit de moitié son utilisation d'eau, cela ne résoudra en rien la problématique", déplore Cécile Argentin, présidente de France nature environnement en Midi-Pyrénées, auprès de France 3 Occitanie.

Hélène Michaux insiste d'ailleurs sur la variété des solutions collectives, de l'entretien des zones humides aux efforts des villes. "De plus en plus de villes sollicitent des aides pour désimperméabiliser les sols et permettre d'y réinfiltrer l'eau de pluie". Alors que le Giec prévoit entre 10 et 40% de baisse du niveau des cours d'eau à l'horizon 2050, la préservation des milieux aquatiques, de leur biodiversité et de leur rôle dans le grand cycle de l'eau est également une priorité.