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Pesticides : une commission d'enquête dresse le bilan d'une « décennie presque perdue »


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Ouverte en juin dernier, la commission d'enquête sur l'échec des plans Écophyto de réduction des pesticides a rendu ses conclusions. Celles-ci montrent un manque de coordination interministérielle dans la mise en œuvre des mesures requises.

Dominique Potier, le rapporteur, déplore l'absence de politique de surveillance des effets des pesticides sur la qualité de l'air et des sols, ou sur la biodiversité locale.
« Écophyto est comme un véhicule qui roulerait sur une route sans radar, avec un tableau de bord défectueux, un véhicule sans pilote dont les passagers feraient de la destination même un sujet de controverse. »

Cette analogie traduit le sentiment « d'impuissance » et de « décennie presque perdue » qui suinte dans l'ensemble des conclusions de la commission d'enquête parlementaire sur les causes de l'échec des plans nationaux de réduction des pesticides. Cette commission, ouverte à l'Assemblée nationale à la suite d'une proposition de résolution adoptée en juin dernier, a présenté son rapport le jeudi 14 décembre avant de le publier ce jeudi 21 décembre.

Des ambitions insatisfaites

Dominique Potier, son rapporteur et député PS (Meurthe-et-Moselle), à l'initiative de ce travail, dresse un constat déjà maintes fois commenté : « Tous les compartiments de l'environnement sont contaminés par les produits phytosanitaires. » Il atteste, par exemple, que 4 300 captages d'eau potable ont été fermés entre 1980 et 2019 pour cause de pollutions aux nitrates ou aux pesticides, lesquelles menacent toujours « un tiers du territoire français ». Il déplore également l'absence de politique de surveillance des effets des pesticides sur la qualité de l'air et des sols, ou sur la biodiversité locale. D'autant que l'accompagnement de modèles alternatifs et le soutien aux victimes patinent.

Pour le premier, le réseau d'exploitations agricoles expérimentales Dephy, engagé en 2011 dans le but de mobiliser 30 000 fermes, compte aujourd'hui un peu plus de 2 000 installations (contre 3 000 en 2021). Pas étonnant sachant que les pouvoirs publics ont décidé d'amputer d'un tiers les moyens du réseau. Quant au second, le fonds d'indemnisation aux victimes créé en 2020, n'a jusqu'ici traité que 650 demandes, en comparaison des 10 000 agriculteurs escomptés.

“ Plusieurs administrations centrales sont concernées par cette problématique, mais continuent d'opérer en silo sans la moindre coordination interministérielle ”
Frédéric Descrozaille, député et président de la commission d'enquête

Le rapporteur constate néanmoins des progrès du côté de la santé humaine. Si les volumes d'utilisation des produits ciblés ont augmenté ces dernières années, quoiqu'à des niveaux inférieurs aux moyennes de la décennie précédente, la part des substances cancérigènes, mutagènes ou reprotoxiques (CMR) continuent de baisser. Même si ces retraits ne sont pas dus à la dynamique Écophyto mais plutôt au cadre réglementaire des autorisations de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques.
Il souligne par ailleurs « l'impulsion politique sincère » du nouveau plan Écophyto 2030 (ou Écophyto III, le quatrième depuis 2009), qui sera publié en janvier prochain. Malgré tout, « l'objectif de réduction de 50 % a non seulement été reporté à nouveau (pour 2030), mais il s'appuie sur la période 2015-2017, durant laquelle l'utilisation des pesticides était au sommet, et non plus 2009 comme initialement ».

Une gouvernance désordonnée

Si la mise en œuvre de l'ambition n'est donc pas au rendez-vous, c'est surtout, selon la commission d'enquête, le résultat d'un désordre politique. « La simplicité apparente de l'objectif fixé cache une complexité très profonde qui n'est pas organisée dans la conduite de la politique publique, témoigne Frédéric Descrozaille, député Renaissance (Val-de-Marne) et président de la commission d'enquête. Plusieurs administrations centrales sont concernées par cette problématique, mais continuent d'opérer en silo sans la moindre coordination interministérielle. » D'autant que les membres du Comité d'orientation et de suivi (COS) des plans Écophyto, censés assurer cette coordination, « ne se sont pas réunis une seule fois entre 2019 et 2023 » après le lancement du dernier plan en vigueur (Écophyto II+). Et ce, sans compter « l'incapacité à articuler les 71 millions d'euros consacrés au plan parmi les 643 millions d'euros à l'agroécologie (avec) les 16 milliards d'euros d'aides publiques versées par le ministère de l'Agriculture », alors que des dispositifs comme le label Haute Valeur environnementale (HVE) « rate encore la cible d'un alignement avec le plan Écophyto ».

Cette complexité de la gouvernance se manifeste également dans « le grand impensé et le grand échec de cette décennie », à savoir la séparation des activités de vente et de conseil sur les pesticides. Cette mesure, imposée par la loi Egalim de 2018, « a dévitalisé le processus des certificats d'économies des produits phytopharmaceutiques (CEPP) », selon Dominique Potier, dont les « obligés » ne sont que trop peu nombreux à respecter leurs obligations. De fait, « le conseil commercial perdure officieusement », tandis que le conseil stratégique, prenant la forme de formations obligatoires à l'agroécologie, « n'atteint même pas 20 % des agriculteurs cibles ».

Pour tenter de remédier à ces dysfonctionnements et au reste des défauts recensés dans le rapport, la commission d'enquête recommande une série de réformes constituant « au moins trois ans de propositions (réglementaires ou législatives) ». Parmi elles, elle préconise, entre autres, de renforcer les moyens de recherche et d'évaluation, notamment de l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) ; de réviser le cahier des charges du label HVE, au cœur des écorégimes du Plan stratégique national (PSN) d'application de la Politique agricole commune (PAC) ; ou encore de consolider les règles de compétitivité à l'échelle européenne, par exemple en « imposant le respect des règles européennes en matière d'usage pour l'ensemble des produits importés » et en « interdisant l'exportation vers les pays tiers de substances interdites au sein de l'Union européenne ».